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Essais Le miel, la colère et le chien

janvier 2024 | Le Matricule des Anges n°249 | par Jérôme Delclos

Merleau-Ponty met les questions du monde et d’autrui à la portée du grand nombre. Un passionnant manuel de philo.

Depuis Socrate, le philosophe est un bavard. Le lui reprochaient les sophistes qui, ceci dit, le lui rendaient bien. Maurice Merleau-Ponty, en 1948, honore la tradition dans ses Causeries données à la Radiodiffusion française, la « RDF », et conservées à l’INA. Dans cet après-guerre avec Alain sous l’influence de son maître Jules Lagneau, Sartre qui importe la phénoménologie de Husserl, Bachelard et les quatre éléments, Bergson et les « Données immédiates de la conscience », la philosophie française est sur le chantier de la question de la perception. C’est aussi que des peintres comme Van Gogh, Cézanne, Braque, des poètes comme Ponge ou Char, des écrivains comme Proust, sans parler de cet art du regard qu’est le cinéma sur lequel Merleau-Ponty écrira, ont à leur façon déjà ruiné la croyance que la science et la technique moderne nous donnaient accès au sens du monde. Ou alors à seulement dire, comme le fait Merleau-Ponty, que « Le concret, le sensible, assignent à la science la tâche d’une élucidation interminable ». D’autant que « la physique de la relativité » d’Einstein est passée par là, et montre « chaque observation strictement liée à la position de l’observateur, inséparable de sa situation, et en rejetant l’idée d’un observateur absolu ».
Les sept Causeries qui composent ce volume tournent toutes autour de cette grande affaire : « Le monde de la perception », qui « semble à première vue le mieux connu de nous (…) est dans une large mesure ignoré de nous tant que nous demeurons dans l’attitude pratique ou utilitaire ». Qu’il s’agisse de décrire les qualités du miel telles qu’elles nous apparaissent, de prendre au sérieux le chien ou le chimpanzé, de comprendre un phénomène comme la colère, les petites leçons radiophoniques de Merleau-Ponty sont déjà en soi passionnantes dans le traitement de ces exemples, qu’ils soient les siens ou empruntés à d’autres, témoin celui du miel tiré de L’Être et le Néant de Sartre (1943). « Le miel est sucré. Or le sucré (…) est dans l’ordre des saveurs cette même présence poisseuse que la viscosité du miel réalise dans l’ordre du toucher » Ou bien c’est l’eau de Francis Ponge dans Le Parti pris des choses, « liquide » c’est-à-dire « qui préfère obéir à la pesanteur, plutôt que maintenir sa forme », et « inquiète », soit « sensible au moindre changement de la déclivité ».
Dans ce retour « à une expérience naïve », parmi les « choses », les corps physiques qui nous entourent, se rencontre avec le sien « l’homme du dehors », l’autre que moi ou « autrui », tout sauf un pur esprit nous dit Merleau-Ponty : « tout un ensemble de possibilités dont il est la présence même ». Par exemple dans la colère, un phénomène complexe, et irréductible à celui « en » qui elle se manifeste. « C’est bel et bien ici, dans cette pièce, et en ce lieu de la pièce que la colère éclate, c’est dans l’espace entre lui et moi qu’elle se déploie ». Et en un instant, la totalité de cet « ensemble » a changé – la pièce, le lieu de la pièce, l’espace qui nous séparait mais où la colère encore n’était pas. Descartes, nous dit Merleau-Ponty, l’avait déjà compris : l’âme et le corps ne sont pas séparables, mais unis comme « une pensée bizarrement jointe à un appareil corporel ».
La Causerie sur l’animalité préfigure les grands débats bioéthiques actuels. Dans le monde perçu, nous ne sommes pas seuls : « Il s’offre aussi à des animaux, à des enfants, à des primitifs, à des fous qui l’habitent à leur manière, qui, eux aussi, coexistent avec lui ». Contre la pensée classique qui conçoit l’homme comme « maître et possesseur de la nature » (Descartes), Merleau-Ponty nous engage à revendiquer un monde où « nous coexistons avec l’animalité au lieu de lui refuser témérairement toute espèce d’intériorité ». Le chien, quand il ne parvient pas à ouvrir la porte avec sa patte, « révèle en pleine lumière l’effort d’une existence jetée dans un monde dont elle n’a pas la clef ». Cela ne nous rappelle-t-il rien ? Ludwig Wittgenstein, avec l’humour troublant qui le caractérise, le répétera : « Le chien répond à l’appel de son nom. Tout comme moi ».

Jérôme Delclos

Causeries
Maurice Merleau-Ponty
Points, 95 pages, 7,50

Le miel, la colère et le chien Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°249 , janvier 2024.
LMDA papier n°249
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