Même quand elles dénoncent l’exclusion et le stigmate dont il est victime, nos représentations du mendiant sont communément privatives. Le mendiant est « l’homme sans » : sans argent, sans domicile, sans culture, etc. Et Diogène le cynique se serait lui-même décrit comme « sans cité (apolis), sans maison (aoikos), privé de patrie (patridos esterêmenos), mendiant, vagabond, vivant au jour le jour ». L’originalité de l’essai d’Étienne Helmer, qui avait déjà écrit sur les mendiants et la mendicité en Grèce ancienne, réside dans l’intention de dépasser ce « primat du négatif » et d’instaurer une approche du mendiant et de son activité – mendier – qui y reconnaisse une « forme de vie » pleine et entière, dans sa « positivité ».
Il ne s’agit pas pour l’auteur de prôner une « culture de la pauvreté » qu’il récuse, mais, par le recours aux sciences humaines, à la littérature (le personnage de Gohar chez Cossery et celui de Michael K chez Coetzee), à la philosophie (les Grecs, Arendt, Kant, Agamben et son concept de la « vie nue »), de déconstruire l’image d’Épinal du mendiant et d’interroger ce qu’il nous apprend sur nous, et d’abord sur les choix moraux que suscite sa rencontre : « Donner ou ne pas donner ? », « Que donner ? », et comment. Si, fort de sa morale du devoir, « Kant invite à donner sans humilier », il reste, montre Helmer, que toujours « le mendiant demeure (…) cette personne simplement capable de recevoir, d’être l’objet d’une transaction unilatérale ou univoque ». D’où la tentative de lui restituer sa place et son rôle dans les échanges sociaux, et sa puissance subversive d’une autre configuration possible de l’espace urbain, et de notre temporalité aliénée. « En somme, voir dans le mendiant une figure critique », dans « l’animal mendiant une haute figure de l’animal politique ». Un essai qui met à bas nombre d’idées reçues, pour « remettre le monde à l’endroit ».
Jérôme Delclos
Mendier peut-être
Étienne Helmer
Verdier, 158 pages, 18 €
Domaine français Mendier peut-être
janvier 2024 | Le Matricule des Anges n°249
| par
Jérôme Delclos
Un livre
Par
Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°249
, janvier 2024.