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Domaine français L’eau, ce feu

juillet 2023 | Le Matricule des Anges n°245 | par Jérôme Delclos

Michel Jullien, depuis sa fenêtre sur l’estuaire de la Loire, lit et écrit le paysage. En 56 pages, une pièce d’orfèvrerie.

Constat d’estuaire

La grande littérature géographique est rare, peu d’écrivains s’y risquent. Il y faut une absolue maîtrise des descriptions, du point de vue, et le vocabulaire qui traduira le visible qui toujours glisse entre les doigts, le paysage est une anguille. Et puis, ne pas lasser son lecteur, y compris s’il connaît bien le coin. Ou d’autres qui lui ressemblent et dont celui visé devra se distinguer. Michel Jullien depuis chez lui, « neuf mètres cinquante » au-dessus de la Loire (« J’ai mesuré avec une corde », attaque l’incipit), relève le gant sous l’autorité d’un maître, l’auteur de L’Eau et les rêves qui lui fournit deux épigraphes : « La peine de l’eau est infinie », et, Bachelard citant ici Novalis, « L’eau est une flamme mouillée ».
Des quatre éléments, l’eau est peut-être le moins saisissable parce que le plus mouvant, changeant, trompeur, rusé, lié au temps et à sa fuite. Comment dire alors l’estuaire, lequel « brouille nos plus communes données » ? C’est d’abord un grand désordre dans le premier chapitre, « Le quai » d’embarquement de l’écriture où « Le fleuve n’en est plus un sans être encore la mer ». S’agissant de « la mécanique des marées », elle est détraquée, se fait non pas « d’avant en arrière comme on l’observe depuis un rivage » mais « de gauche à droite, une marée d’essuie-glace ». Bien filée, toute une métaphore guerrière se met alors en branle, « la lucarne est le point depuis lequel on tire et où l’on est visé ». Les couleurs elles-mêmes s’emmêlent : « une eau d’acier crotté, sans jamais de transparence, une teinte insaisissable où dominent le brun, le gris et le sale – à chaque remous ses nuances –, du vert aussi, l’automne au mois d’août, des valeurs de treillis militaires épaulées par le mouvement de troupe des marées ». Vue depuis cette vigie, la rive opposée en devient inquiétante, « du kaki bucolique ». Oui, « Décidément le paysage est risqué », déjà de jour et plus encore par temps de nuit : « rarement, j’ai vu la lune s’y mirer ». Rien d’étonnant alors à ce que « la menace panoramique », écrit Michel Jullien, le « ramène au climat du Désert des tartares, au Rivage de Gracq ».
Après quoi le texte s’apaise, ou bien c’est que l’on s’habitue. La description de la guette de l’écrivain derrière sa vitre nous est réconfortante, on se trouve avec lui à l’abri, et au chaud. On y apprend que vit de ce côté de l’eau comme de l’autre une population de voyeurs. « Et ça recommence, nous avons tous ce tic, habitants du quai, une manie en commun, indiscrète, impérieuse : allez rendre notre œil au carreau, chez les autres. » Certains chapitres seront plus graves mais pour de rire – jaune. Ainsi de « Noyade » qui raconte un fiasco, l’histoire d’un « soulard épatant », impétrant à la mort volontaire qui voulait « se couler dans la Loire » et y échoue certes en se noyant, oui mais en « terre meuble, franges engluantes »  : il « patouilla, enlisé dans le spongieux, noyé dans le terrain, en quelque sorte un « suicide raté » ».
Paimbœuf, Pornichet, Nantes, Saint-Nazaire, le « navrant Pays de Retz » et pourquoi pas des montagnes puisqu’il est question de Ramuz, on voyage beaucoup à partir du poste d’observation de Michel Jullien qui a aussi ses révoltes. « Et plus accablant, Donges, toujours Donges, la raffinerie qui s’annonce à l’avance par des rouleaux de barbelé, des hameçons de grillages à hauteur faîtière, des caméras nichées, des pancartes au même sourire crânien, rayé d’os. Un beau guêpier, le domaine Seveso »
La fin du texte, brûlante au coin d’un âtre aux beaux crépitements, donne la clé de la citation de Novalis : « « Estuaire », du latin Æstuarium, de Æstus avec comme acception « Agitation de la mer, flots houleux, force entraînante, marée », mais aussi, « Grande chaleur, ardeur, feu » ». Ardent, un livre de dévotions.

Jérôme Delclos

Constat d’estuaire
Michel Jullien
La guêpine, 56 pages, 16,50

L’eau, ce feu Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°245 , juillet 2023.
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