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juillet 2023 | Le Matricule des Anges n°245 | par Philippe Savary

Le Dilettante réédite les anciens carnets d’André Blanchard (1951-2014), diariste tourmenté et attachant. Témoins d’une vie par procuration, ils sont un hymne à l’écriture et à la littérature, satire comprise.

Quand André Blanchard ouvre un cahier neuf pour noircir ses carnets, sa rumination quotidienne, cela donne ça : « il en va comme d’une pierre tombale en attente : j’inscris la date d’inauguration, et celle de clôture en pointillé (…). Parfois, je me fends même de l’épigraphe : “Ci-gît Blanchard/ Écrivain d’après certains racontars / Qui ne fit rien / Mais le fit bien” ». Noir et sarcastique, le spleen en bandoulière : ainsi va Blanchard, le réfractaire de Vesoul, le déserteur magnifique, ce lecteur impénitent qui s’acquitta de son office comme un sacerdoce, pendant trois décennies. Ses premiers carnets, Entre chien et loup, furent accueillis par Le Dilettante en 1989. Il avait 38 ans. Drôle de genre pour faire son trou : commencer par là où les autres finissent. On lui demanda un roman. Il s’exila alors dans la lointaine banlieue de l’édition, chez Erti, enseigne spécialisée en gastronomie, domiciliée à deux pas de chez lui, avant son retour au Dilettante en 2003. Bon qu’à ça rassemble donc les six volumes de carnets (et de chroniques) publiés durant cette parenthèse. Qui n’est pas enchantée pour son auteur, davantage pour son lecteur.
Un carnet n’est pas un journal. Blanchard n’y raconte pas de quoi sont faites ses journées. D’ailleurs, il lui en aura fallu du temps au lecteur pour apprendre l’existence de sa fille, la mal-nommée « héritière ». Tout juste sait-on qu’il était gardien à mi-temps (et par intermittence) d’une galerie d’art. Sa terre d’élection, c’est la chose vue, le livre lu, la note à écrire, le commentaire sur le vif. D’autodénigrement (« Réussir rime avec nuire ») en ratiocination, Blanchard arpente son paysage intérieur. Fait le tour du propriétaire. Avec l’habileté du contrebandier, il distribue ses humeurs. Gant de velours et encrier à l’acide. Le trait d’esprit, en prime. Ses carnets, ce sont le relevé de ses frissons, pour le meilleur et pour le pire. Dans la vie, Blanchard préfère la retraite. « S’éloigner du monde, c’est l’honorer ». Dit autrement : « Dieu est parfait. Ah ! n’avoir pas vécu, c’est incomparable. » Le diariste explique dans De littérature et d’eau fraîche (1992) s’être « faufilé comme un resquilleur dans l’écriture afin de n’avoir pas à exister socialement. »
Le bonhomme, contrairement à l’écrivain, n’est pas souvent à son meilleur, surtout en ces années 1990 : moral dans les chaussettes, corps en berne, doute sur la valeur de ses feuillets, et toujours « cette dextérité à mater le moindre soupçon d’exaltation ». Sauf lorsqu’il fréquente Flaubert, Proust, Balzac, s’enthousiasme pour Thomas Bernhard et Calaferte, ou relit son trio magique Léautaud-Renard-Mauriac. Sa grande affaire. À vadrouiller tant sous les jupes de cette littérature, prestigieuse, il en tire profit : des leçons de vie, ce qui sépare l’homme de l’œuvre, et beaucoup d’humilité : « Mettre la barre haut, c’est inciter à passer dessous ». Une prédilection pour les auteurs catholiques, lui fait-on remarquer ? « Eux, tentent Dieu ; moi, non. Elle aura glissé sur moi, la bonne parole », tempère l’ex-enfant de chœur. Et les vivants ? Peu nombreux. Ils s’appellent Christian Guillet, Jean Rouaud, Bernard Frank, Richard Millet. Et surtout pas cette littérature « dite minimaliste, qui peine à aligner sujet, verbe, complément (…), quel paradoxe que ce soit celle-là dont la modernité et le métissage culturel font leur dada, elle qui incarne l’exclusion. » La vacherie n’est jamais loin…
Plume au poing, le chat à portée de caresses, Blanchard met du cœur à l’ouvrage pour égratigner ceux qui fricotent avec l’imposture, la bêtise, l’hypocrisie. Et vise souvent juste. Il épingle la morale des « bien-pensants uniques », les vanités sociales, le culte de l’ego, et quand il s’agit du milieu littéraire, il y a du grain à moudre. « Dès qu’un écrivain l’ouvre, c’est son livre qui a l’air de trop ». Ses carnets s’apparentent bien à une petite fabrique de littérature à ciel ouvert. La flânerie prend ses aises : Blanchard explique les 36 façons de ne pas lire Proust, donne un cours sur l’alimentation des chats, égrène les rites funéraires, ressuscite une conversation avec Jean-Edern Hallier, et se lamente d’être mal publié, lui l’« écrivain-remplaçant qui regarde jouer les titulaires », avec son audience de « bulletin paroissial », malgré les louanges. « Est-ce encore de mon âge, de faire du stop ? » lorsqu’il s’agit de placer sa prose, « même plus cotée à l’argus avant d’être sortie ». Mais il consent : « Être à ce point confidentiel, flatte le sauvage. »
Moraliste, le reclus de Vesoul, qui fuyait les honneurs, souhaitait renouveler « la donne » des écrits intimes. Pari tenu. C’est revigorant et émouvant. « J’ai toujours aimé rêver debout, la vie redevient de bonne compagnie ». Et la postérité ? « Patience ! Tablons sur la mort, à qui il arrive de révolutionner les lois de l’équilibre – c’est souvent une fois que l’artiste est éjecté du plateau, que celui-ci penche de son côté. »

Philippe Savary

Bon qu’à ça
André Blanchard
Le Dilettante, 1006 pages, 39

Pour solde de tout compte Par Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°245 , juillet 2023.
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