Jean-Charles Massera, l'art contre la domination
S’il n’avait pas vraiment fait ses adieux à la littérature, cela faisait longtemps que Jean-Charles Massera n’avait pas publié de livres. En 2013, les éditions Le Gac Press sortaient Stairway to d’autres supports en collaboration avec l’École supérieure d’art et du design de Tours, Angers et Le Mans (TALM), livre dans lequel l’auteur de United Emmerdements of New Order revenait à sa façon sur vingt ans d’art et de littérature et adressait à celle-ci comme un certificat d’obsolescence. L’écrivain semblait avoir fait toute la place à l’artiste et celui-ci s’ouvrait à bien d’autres supports que le livre : installations sonores, performances, photos, vidéos, cinéma, chanson, affichage. L’œuvre se faisait polymorphe, était diffusée par haut-parleurs dans un supermarché de sa ville natale, montée sur des scènes de théâtre, présentée au centre de la photographie de Genève, invitée à la biennale de Québec. L’ancien critique d’art semblait avoir tourné la page du livre jusqu’à l’an dernier où paraissait Le Monde comme il débloque et surtout, aujourd’hui, Occupy Masculinité. Ce dernier s’attaque à ce qui reste un des motifs récurrents du travail de l’écrivain-artiste : la domination masculine. Cette veine féministe permettant de mettre en avant l’héritage patriarcal de toute une littérature de la jouissance, d’une littérature « has been » comme ne le dit pas Jean-Charles Massera mais comme il aurait pu le dire lui qui aime tant mélanger la langue de la mondialisation au français.
Jean-Charles Massera naît en mars 1965 à Mantes-la-Jolie dans une famille où le père est ingénieur et deviendra directeur régional d’une grande entreprise de travaux publics. « Il avait dû obtenir son diplôme par correspondance suite à une violente interruption de ses études après le bac : appelé en Algérie comme conducteur d’engins dans le génie. Des années dont il n’a jamais parlé. » Il a épousé celle qui fut sa secrétaire. La mère poursuit son travail à la maison après la naissance de Jean-Charles mais cessera définitivement après celle du deuxième fils en 1970. Du côté paternel, on est venu d’Italie et on a posé ses valises aux pieds du Mont-Blanc. Le grand-père que Jean-Charles n’a pas connu avait une entreprise de travaux publics à Saint-Gervais qui construisait des plateformes de téléphérique « mais il a fait faillite, ma grand-mère s’est retrouvée dans une HLM à Mantes-la-Jolie et mon père a dû éponger les dettes pendant quelques années… » Côté maternel, la grand-mère luxembourgeoise « rêvait de devenir institutrice, mais aînée d’une famille de 14 enfants, elle avait dû arrêter l’école très jeune. J’étais très proche d’elle. D’abord parce que venant d’un milieu modeste, elle était fortement méprisée par la famille de mon père au point de ne jamais parler pendant les repas de famille. Idem pour son mari né en Alsace allemande, qui avait dû quitter l’école très tôt pour travailler comme plombier. »
Un mépris qui s’ajoute à une forte dose de religiosité chez...