Pour qui s’intéresse à l’œuvre d’un écrivain, au point de vouloir se pencher sur son parcours, il y a comme une curiosité naturelle et légitime à chercher ce qui a pu décider d’une vocation. S’agissant de Maurice Pons (né en 1925 à Strasbourg, et disant devoir s’appeler Maurice à la rue Saint-Maurice où il a vu le jour), nous pouvons avancer deux hypothèses, qui nous viennent de ses Souvenirs littéraires. La scène se déroule en 1932 ou 1933, dans la gare de Strasbourg justement. Si le jeune Maurice Pons s’y trouve, ce n’est pas pour y prendre un train : son père vient d’acheter les deux nouveaux volumes des Hommes de bonne volonté de Jules Romains, et souhaite se les faire dédicacer par leur auteur (les deux hommes étaient de la même promotion à l’École normale supérieure). C’est donc dans un wagon-Pullman que le père et le fils retrouvent l’illustre écrivain, qui s’apprête à partir pour Berlin. Même si le futur auteur des Saisons n’a que 7 ou 8 ans, cette entrevue se grave durablement dans sa mémoire : lorsqu’il dédicacera ses propres livres, il aura toujours à l’esprit cette scène dont il dit avoir gardé une « éblouissante image ».
Plus loin dans ses Souvenirs, Pons nous confie que le portrait de Jonathan Swift (1667-1745) a présidé à sa naissance, ainsi qu’à celle de son frère et de ses quatre sœurs. L’inventeur des célèbres Voyages de Gulliver, dont son père était spécialiste (angliciste et universitaire, il finit sa carrière à la Sorbonne), semble avoir imprégné toute son enfance. La famille Pons au grand complet a d’ailleurs participé à l’édition des Œuvres complètes de Swift pour la Bibliothèque de la Pléiade (le père était un ami de Brice Parain, qui en gérait la direction avec Raymond Queneau), la mère ayant assuré la dactylographie des textes, une de ses sœurs ayant été sollicitée pour la traduction, et son frère Jacques, le bénédictin, pour les études swiftiennes. L’édition Folio des Voyages comporte encore aujourd’hui la préface très documentée de Maurice Pons. Il est permis de penser que ce compagnonnage avec l’imaginaire swiftien, aussi régulier que précoce, a été déterminant pour l’œuvre de Pons, où la frontière entre le réel et le fantastique est souvent poreuse.
Aux côtés de ces rencontres fondatrices, sans doute convient-il d’ajouter la fréquentation de Névache, cette commune des Hautes-Alpes perchée à quelque 1600 mètres d’altitude, dont le père était originaire, et où la famille Pons se rend chaque été, les six enfants, la mère et la bonne dans un compartiment de troisième classe, le père en première, grâce à son double statut de professeur et d’ancien combattant. Un village où la déclaration de guerre en septembre 1939 surprend le jeune Pons et qui lui servira de cadre pour son roman le plus célèbre, Les Saisons, dans lequel il deviendra « un lieu de grâce et de merci » pour l’écrivain Siméon.
Quoi qu’il en soit de ces influences, il semble que la question de devenir écrivain se soit très tôt posée pour...
Dossier
Maurice Pons
L’écrivain clandestin
Romancier, et peut-être plus encore nouvelliste, Maurice Pons (1925-2016) fut un écrivain rare. Charmeur et inquiétant, ne détestant pas tricher avec le réel et le vécu, l’auteur des Saisons aimait surtout à lever le voile des apparences et de la logique pour révéler l’absurdité du monde.