On trouve dans Délicieuses frayeurs, un recueil de neuf nouvelles parues aux éditions Le Dilettante en 2006, ce court récit nommé « La Fenêtre ». Du Maurice Pons pur jus, des mots simples, avec un arrière-goût de confiture de grand-mère (celle que la comtesse de Ségur préparait à ses petits-enfants, ou celle de Perrault, pourquoi pas ? dans le panier du Chaperon Rouge). Des mots qui pétillent, mais pas trop, avec cette légère retenue d’un Chagall dans la naïveté.
« La Fenêtre » est l’unique ouverture d’une chambre d’hôpital occupée par de pauvres bougres qui cherchent à savoir ce qu’il y a dehors. Un seul malade, le mieux placé, est capable de dire aux autres ce qu’il voit. Malheureusement, aucun de ceux qui héritent de ce privilège n’a le talent nécessaire pour commenter le spectacle du monde. Personne, hormis Franz, dont les mots enchantent ses auditeurs. Je ne dirai rien de la chute (bouleversante) de la nouvelle et laisserai au lecteur le soin d’aller se renseigner sur place. Je m’attacherai plutôt au sens à donner au récit, car, comme souvent chez Pons et comme chez tous les bons conteurs, la métaphore prime sur l’anecdote.
Le monde, ce spectacle dont nous parlions, qu’est-il en dehors de ce que l’on peut en dire ? Que peut-il être isolé des commentaires et des commentaires de commentaires que les humains ne cessent de lui agréger ? « Une seule pensée emplit l’univers » disait l’auteur des Méditations poétiques ; Franz habille la nudité des choses avec des mots. Sur l’axe horizontal du réel, il agit de façon relativiste en bâtissant, à l’intérieur du référentiel langagier, un temps et un espace quand, avant son opération démiurgique, il n’y avait que cendre et poussière. Que sont les ciels de montagne avant qu’un Jean-Marc Rochette n’en aquarellise l’azur ? Qu’est-ce qu’un désert dans l’Arizona avant qu’Isabelle Jarry n’en précise les formes (Vingt-trois lettres d’Amérique ?). Que sont les volcans islandais sans Pierre Cendors pour nous y conduire ? En bref, qu’est-ce que le monde sans le roman pour l’instruire, la poésie pour l’éclairer, l’art pour lui donner un corps et une âme, mais aussi tout le reste, tout ce que les humains font, le front contre le mur immense du réel opaque, les mains posées contre des hauteurs sans visages et des abysses sans écho ? Oui, la fenêtre de cette chambre d’hôpital mérite moins qu’elle ne nécessite l’aide incessante de ceux qui aperçoivent ce qu’il y a de l’autre côté ou, pour mieux dire, qui l’inventent. Nombreux sont ceux qui s’y sont penchés à cette fenêtre et qui, malheureux, sont revenus bredouilles. Alors on invente. On invente des dieux, des prières, on décide des sciences ou de la politique, on distribue les rôles, on fait tout pour y croire, on peut même aller jusqu’à s’aimer pour peu qu’on déniche un grand Will et un balcon. Informer ce monde, donc, mais sans trop insister pour ne pas ennuyer, ce fut ce à quoi s’attacha Maurice Pons. Comme Chamfort, Cocteau ou Saint-Simon avant...
Dossier
Maurice Pons
Un mur et des mots
avril 2023 | Le Matricule des Anges n°242