Un petit traité philosophique écrit il y a pile cent ans pourrait-il nous aider à aborder un présent de plus en plus intolérable ? Il faut croire que, depuis les brumes du siècle dernier et des landes galloises, la plume enlevée de John Cowper Powys a toujours quelque chose à nous dire, comme en atteste la multiplication des publications de et sur celui qu’Henry Miller qualifiait de « titan possédé du souffle des dieux ». C’est avec cet Art de résister au malheur, écrit en 1923 et traduit pour la première fois en France, que Powys entra pleinement en littérature. Et avec ce livre charnière qu’il esquissa des notions centrales de l’œuvre à venir, dont celle d’« illusion vitale », ou la figure – essentielle – du « sceptique désillusionné » qui lui permettait d’ouvrir une troisième voie entre les tenants, tout aussi stériles à ses yeux, de l’idéalisme et du matérialisme. Pour Powys, qui rejetait de Dieu ou de la Science l’expression identique d’un « Absolu dominateur (…) encageant le spectacle du monde », seuls comptaient les chemins de traverse, « la Vie – la vraie vie, ce chaos grouillant d’éléments magiques dans lequel nous évoluons », impossible à résoudre en un panorama objectif et impénétrable dont nous ne serions pas une part intime.
Parce que d’un être à l’autre courent des fils invisibles par où transitent les « sentiments douloureux », notre sensibilité, par incapacité à l’indifférence, nous condamne-t-elle irrémédiablement au malheur ? Non, écrit Powys, car nos antennes ont aussi pour fonction de capter, du monde, l’éclat minuscule et fragile, la beauté immémoriale – celle qui du temps relie les extrémités. Non, car nous devons apprendre, par une torsion farouche du corps et de l’œil – en nous ouvrant à toute la richesse de la sensation – à nous fixer sur les manifestations mélancoliques et dérisoires de « la puissante vague de la vie ». Jusqu’à trouver peut-être, dans cette échappée intérieure, le secret même du bonheur sur terre.
Valérie Nigdélian
L’Art de résister au malheur
John Cowper Powys
Traduit de l’anglais par Judith Coppel
La Baconnière, 104 pages, 14 €
Essais L’Art de résister au malheur
février 2023 | Le Matricule des Anges n°240
| par
Valérie Nigdélian
Un livre
L’Art de résister au malheur
Par
Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°240
, février 2023.