La mélancolie a cela de léger et de tendre, qu’elle serre le cœur et reste en tête longtemps, comme le souvenir d’un parfum familier. Le Jardin céleste possède cette grâce. L’histoire ? Il n’y en a pas – ou si peu. Un vieil universitaire sud-africain, Nikolaas, se rend à Londres, à la fin des années 1970, pour y recevoir, à Oxford, un hommage de ses pairs. À cette occasion, il retrouve une figure de sa jeunesse : Prudence Chalmers, qu’il a connue adolescente, devenue une militante connue des droits humains. Plus de trente ans se sont écoulés, en effet, depuis ce jour de l’été 1937, quand le jeune Nikolaas, alors simple étudiant venu d’Afrique du Sud, a été invité par l’un de ses condisciples, Robert Chalmers, frère aîné de Prudence, à venir passer les vacances chez eux. Ces retrouvailles avec Prudence provoquent, dans l’esprit de Nikolaas, et dans le récit qu’il nous fait, un flash-back vertigineux. Nous voici dans l’Europe des années 1930 – guerre d’Espagne, naissance du nazisme… Mais qu’en sait-on, sur le moment ? Chez les Chalmers, on prend le thé sous les arbres, « dans l’ombre mouchetée de lumière », on joue au cricket. Les Chalmers, c’est la fin d’un monde. Et chacun le sait. Notamment l’une des invités, Gerda, une jeune Allemande anti-nazie, qui dit ce qu’elle pense sans détour.
Le Jardin céleste, construit en trois temps, comme une valse, s’achève au champagne, dans les salons du Ritz, à Londres, où Gerda a donné rendez-vous à Nikolaas, à l’automne, une fois la parenthèse estivale refermée. Après cela, ils ne se reverront plus. De retour en Afrique du Sud, où la violence raciste n’a pas encore inventé le mot apartheid, Nikolaas restera habité par cet été anglais : « quelque chose qu’il avait perdu à jamais et qu’il posséderait pour toujours ». Délicat et puissant, Le Jardin céleste dit la solitude, le sentiment d’étrangeté et de perte, mais il le dit en creux, en ravivant les soleils de l’enfance et des bonheurs enfuis – tout ce magma fragile et lumineux, qui permet quelquefois aux humains de survivre.
Catherine Simon
Le Jardin céleste
Karel Schoeman
Traduit de l’afrikaans par Pierre-Marie Finkelstein
Actes Sud, 240 pages, 22,50 €
Domaine étranger Un été anglais
février 2023 | Le Matricule des Anges n°240
| par
Catherine Simon
Un livre
Un été anglais
Par
Catherine Simon
Le Matricule des Anges n°240
, février 2023.