Née en Normandie, en pays de Caux, La Déviation poursuit son discret chemin éditorial dans un village creusois, sur le plateau de Millevaches. La Villedieu compte 48 habitants. « Venir ici était un choix de vie, en accord avec mes convictions », dit Michel Lebailly, 61 ans, ancien ingénieur chez Bull devenu libraire, militant pacifiste au parcours syndical nourri. La petite enseigne ne redoute pas les bifurcations : du roman au document, du polar à la bande dessinée, en passant par le livre jeunesse. Les enquêtes (politiques) de Chloé Bourgeade (Gérard Streiff) voisinent avec les humeurs décroissantes de Jean-Luc Coudray, la violence d’État (Panagoulis, le sang de la Grèce, de Denis Langlois) avec un bestiaire enluminé, René Goscinny avec Jean Kanapa, « un intellectuel communiste oublié ». Il y a même un improbable déjeuner réunissant Buffalo Bill et la peintre Rosa Bonheur, pionnière en matière de protection animale. Un catalogue difficile à résumer ? « Je ne m’interdis rien. Mais l’amitié joue un grand rôle », concède celui qui s’affirme « très éloigné du milieu littéraire » et être un lecteur éclectique (Simenon, Charles Juliet, Jean Rouaud, Philippe Forest), peu soucieux des modes. C’est qu’on voyage beaucoup dans le temps à La Déviation. Telle sa dernière parution : Trous de mémoire, de Jean-Michel Béquié. Un roman, grave et délicat, où les résurgences du passé (familial) deviennent un vertige.
Michel Lebailly, vous avez tenu pendant huit ans à Paris une librairie dédiée à l’œuvre de René Goscinny. En quoi cette expérience a-t-elle été importante pour vous ? A-t-elle suscité un désir de se lancer dans l’édition ?
Oui, très importante. Je suis convaincu que René Goscinny est une figure majeure de l’histoire humaine. Sa mort prématurée en 1977 m’a bouleversé et j’ai eu alors le sentiment que son génie était insuffisamment reconnu. La librairie fut la matérialisation d’une idée (un fantasme peut-être) : trouver l’ensemble de son œuvre dans la rue qui porte son nom. Et ainsi contribuer à lui rendre justice. Ou à conjurer la mort.
Échec commercial, la librairie a connu des événements et des rencontres fabuleuses. Notamment avec Cabu qui nous a toujours soutenus.
Le lien avec l’édition est indirect, mais bien sûr l’amour des livres est une motivation commune à la librairie et à l’édition. Et la librairie publiait un bulletin, assez pointu, sur l’œuvre de Goscinny. Dans son prolongement nous avons publié en 2012 le premier livre de Clément Lemoine, Versions originales, consacré aux personnages d’interprètes et de traducteurs à l’intérieur de l’œuvre de René Goscinny. Il n’y avait pas tant le désir de se lancer dans l’édition que de permettre à un livre qui le méritait d’exister, de se matérialiser. Le travail de Clément Lemoine s’est poursuivi, dix ans plus tard, lorsque nous avons édité Goscinny à New York et une nouvelle édition de Versions originales.
La Déviation porte bien son nom. Votre ligne...
Éditeur La mémoire en sursaut
février 2023 | Le Matricule des Anges n°240
| par
Philippe Savary
Créée en 2017 par un ancien libraire, La Déviation fait dialoguer les genres, le passé et le présent, ses engagements comme ses amitiés.
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