S’aimer, bouger, pleurer, être libre, tout ça a fichu le camp depuis qu’ils ont fermé le monde, puis qu’ils ont jeté la clé. » L’espoir s’est fait la malle. Reste, le déclin, la décadence. À moins que n’adviennent le sursaut, le désir de mots, le besoin d’histoires, et le paradis au loin, pas si loin peut-être. Dans Le Musée des contradictions, Antoine Wauters pose bout à bout des tranches de vies et ne fait que mettre en branle une symphonie des temps présents. Il vise en plein dans le mille, épluche nos destinées, chacun pourra se reconnaître ou presque dans ce réel qu’il scrute à l’oblique, en multipliant les perspectives, en refusant la binarité. Il décrypte, imagine, sans une once de cynisme, armé de ses outils : poésie et politique et encore poésie.
Il prend soin de nommer le monde tel qu’il tourne sur un air de cacophonie, il « fouille et farfouille » la misère, le climat, « la peur et la trouille », le racisme, la gauche, l’Europe, le travail, les dérives survivalistes, la solitude, l’incompréhension, l’hypocrisie, la religion, « le mensonge universel ». En peu de pages d’une folle densité, Antoine Wauters archive nos destinées avec une poigne de fer qui prendrait soin des mots qu’elle trace – ceux de tous les jours, ceux qui ne font pas bruit mais entonnent ici un chant commun. Ils s’épanouissent, sûrs d’être à la bonne place tout en s’enroulant sur un rythme tonique, frais, inattendu, électrique. Les voilà vaillants comme de preux chevaliers décidés « à ne pas se laisser corrompre par la déprime ». Ils prennent alors d’autres couleurs, d’autres saveurs, d’autres sentiments : « Nos mots ? ils nous collaient aux tripes comme les enfants que n’avons pas eus. »
Les narratrices/narrateurs mis en scène par Antoine Wauters sont pétris de contradictions et le revendiquent. Ni tout blanc, ni tout noir. « Se contredire. Constamment se transformer. Le pire ? Ce serait de nous mettre à signer des livres écrits avec les mêmes mots que les vôtres. » Elles et ils ignorent le « je ». Ainsi, cette femme qui se raconte, dit « nous » comme si elle était à la fois singulière et plurielle, comme si sa parole d’un seul coup, d’un seul nous, prenait valeur universelle… non pas pour sourire aux anges mais bien pour chambouler l’ordre établi, les convenances. Les femmes d’Antoine Wauters sont des rebelles qui raclent-grattent-font mal où il faut : « Au début, nous pensions être des mères idéales, mais nous nous sommes rapidement aperçues, par exemple, que nous n’aimions pas écouter nos enfants. »
Antoine Wauters absout la résignation et lui donne des phrases vertigineuses comme celle-ci : « Il part, avec la tendre et lente démarche de qui traîne à la fois son cadavre et son propre tombeau. » Il renverse la merditude des choses, et nous interroge. Notre mémoire ne serait-elle pas « un fantôme passé à la centrifugeuse » ? Chez Wauters, tout est vrai, parfois cruel, tout devient beau. Magique.
Martine Laval
Le Musée des contradictions
Antoine Wauters
Éditions du sous-sol, 108 pages, 16 €
À noter la réédition en Folio de Nos mères.
Domaine français Symphonie d’un nouveau monde
mars 2022 | Le Matricule des Anges n°231
| par
Martine Laval
Entre poésie et politique, Antopine Wauters écrit à l’oblique des histoires d’aujourd’hui. Avec des mots de tous les jours mais un phrasé électrique. Vivifiant.
Un livre
Symphonie d’un nouveau monde
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°231
, mars 2022.