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Domaine étranger Susan et la guerre des Boers

avril 2021 | Le Matricule des Anges n°222 | par Catherine Simon

Croisant l’intime et l’Histoire, l’écrivain sud-africain François Smith dépeint le destin bouleversant d’une « Fille à soldats ». Portrait d’une renaissance.

L’histoire est connue, du moins en Afrique du Sud. Elle a d’abord été racontée par un certain Nico Moolman, qui la tenait d’une vieille dame javanaise rencontrée lors d’un voyage d’affaires à Bangkok. La vieille dame l’avait elle-même entendue, bien des années avant, de la bouche de son héroïne, une certaine Susan Nell. D’origine sud-africaine, cette psychologue était venue assister, en 1946, aux audiences des tribunaux militaires dits « de la rivière Kwaï », devant lesquels des femmes « de réconfort », utilisées comme esclaves sexuelles par l’armée japonaise, avaient été appelées à témoigner. La vieille Javanaise en faisait partie. Or le drame qu’elle avait vécu, Susan Nell l’avait, dans des circonstances différentes, vécu aussi – non pas en Asie, mais en Afrique du Sud, quelque quarante années plus tôt, durant la seconde guerre des Boers (1899-1902).
Âgée de 18 ans, alors qu’elle est enfermée dans le camp de concentration de Winburg, où les familles afrikaners ont été parquées par l’armée britannique, Susan Nell est violée par deux officiers et un renégat boer. Leur crime accompli, ils la laissent pour morte et la jettent sur une décharge. Quelques heures plus tard, tombée accidentellement de la charrette qui emportait chaque jour les cadavres du camp, la jeune fille est recueillie dans le veld par deux Noirs, un homme et une femme Basothos, des survivants de la guerre, eux aussi. Susan est transportée dans la grotte, où eux-mêmes vivent cachés. Ils la soignent jusqu’à ce qu’elle soit assez solide pour pouvoir gagner la ville du Cap en train. Un de ses compagnons de voyage, un photographe de guerre, la prend sous son aile et la confie, au Cap, à une Afrikaner au grand cœur, qui lui offre l’hospitalité. Susan Nell, peu à peu, reprend des forces. Elle décide de partir aux Pays-Bas, pour suivre des études de psychiatrie. La guerre de 1914 fait rage, quand elle se fait embaucher dans un hôpital militaire du Devon, en Grande-Bretagne, où l’on soigne les « névrosés des tranchées » – et où elle retrouve, par un hasard inouï, l’un de ses trois violeurs. C’est sur cette scène que commence le roman de François Smith.
Professeur de littérature à l’université de Free State, Smith a découvert le nom de Susan Nell, en lisant le récit de Moolman, The Boer Whore. Tous les faits et détails rapportés par Moolman sont-ils vrais – ou vérifiés ? Susan Nell n’est plus là pour le dire. Quoi qu’il en soit, Smith se jette dans l’aventure. Et signe son premier roman.
Portrait de femme, portrait d’une renaissance, Fille à soldats se lit comme une épopée intimiste, un captivant thriller et un roman historique atypique – l’un des premiers qui parle de la guerre des Boers. On passe du veld sud-africain aux bruines britanniques, et des années 1900 aux années 1950. On croise les premiers disciples de Sigmund Freud aussi bien que la silhouette du cruel et cynique Lord Kitchener. Surtout, on y découvre une guerre oubliée, fondatrice, cette guerre qui vit les soldats britanniques se jeter sur le pays « comme des sauterelles », massacrant, brûlant les fermes et les champs, et emprisonnant dans des camps, sous des tentes de fortune, les femmes et les enfants rescapés des tueries. C’est sous l’une de ces tentes, « la n°19 », que Susan Nell, sa mère, son frère et sa meilleure amie, Alice, ont été conduits. Le camp est leur prison. On y meurt beaucoup : de faim, de maladie ou de chagrin. Comme cette vieille femme, devenue folle, errant entre les tentes « comme si elle cherchait un objet qu’elle aurait laissé tomber » et qui, à la fin, « ne parlait plus et avait commencé à mourir ». Susan Nell, quand elle arrive au Cap, se sait seule pour toujours. Ne restent derrière elle que des tombes. Et le souvenir cauchemardesque de ses tortionnaires – dont elle saura, avec une énergie pétaradante qui l’étonnera elle-même, se débarrasser…
Alternant les chapitres écrits à la première personne (qui se passent en Afrique du Sud) et ceux écrits à la troisième personne (qui se passent plus tard, en Europe), l’auteur, en empathie totale avec son personnage, nous rend sa Susan Nell formidablement proche, étrange et vraie. Ce Smith, songe-t-on, a lu Virginia Woolf… À la fin du roman, la petite massacrée de Winburg n’est plus une victime, une « enfant de la guerre ». Elle n’est pas une « fille à soldats ». Mais une calme combattante, maîtresse d’elle-même et solitaire. Elle est désormais une légende.

Catherine Simon

Fille à soldats
François Smith
Traduit de l’afrikaans par Naomi Morgan
Actes Sud, 304 pages, 22,50

Susan et la guerre des Boers Par Catherine Simon
Le Matricule des Anges n°222 , avril 2021.
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