Les histoires qui s’achèvent n’en finissent pas de s’achever. Les traces qu’elles laissent sont profondes et pas toujours claires. Il faut savoir les approcher avec tact ou brutalité. Voilà qui pourrait servir d’accroche pour aborder ce roman délicat de Séverine Danflous. Un réalisateur qui vient de rompre avec sa compagne se voit proposer un projet de documentaire au « cahier des charges plutôt laconique », voire « d’une indigence crasse » : « la rupture, de l’Antiquité à nos jours ». Voilà qui brasse large, mais qui pourrait bien s’avérer pour notre héros une bonne opportunité de panser ses plaies en se penchant sur celles des autres. C’est du moins l’idée qui lui vient, afin de convertir cette commande absurde en un objet filmique digne d’intérêt. Ainsi, tandis que, devenu SDF par la force des choses, il squatte les clic-clacs de ses amis, il va proposer à des femmes de raconter devant sa caméra leurs ruptures marquantes. Pas tant les détails sordides que les effets, les ressentis, une approche pourrait-on dire « impressionniste » de l’amour qui se fane ou s’achève brutalement, des jalousies et des déceptions. Le roman devient ainsi une errance de bars en bars et de conversations en conversations où le narrateur, « la carte de Paris en main », « explore les ondes chagrines au gré d’une géographie toute personnelle ». Des monologues plutôt que des conversations en réalité, que le réalisateur recueille, assistant à la fois ému et distant, intrigué, fasciné ou perplexe, à ce grand déballage qui, selon les personnalités des femmes interrogées, se fait pudique ou osé. « Comment oblitérer la mémoire pour l’empêcher de cuire ? En accumulant les images, on fait taire la douleur. Je vous promets que ça marche ». Même si le documentaire ne se fera peut-être pas, il n’en sera pas moins, pour son réalisateur, un moyen de s’extirper de son marasme sentimental et l’occasion pour Séverine Danflous d’écrire un beau portrait mosaïque du désir et de l’amour quand il se brise et dont les morceaux se recollent parfois.
Guillaume Contré
S’abandonner
Séverine Danflous
Marest, 196 pages, 17 €
Domaine français S’abandonner
avril 2021 | Le Matricule des Anges n°222
| par
Guillaume Contré
Un livre
Par
Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°222
, avril 2021.