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Histoire littéraire Arthur Cravan, le poète immodéré

avril 2021 | Le Matricule des Anges n°222 | par Guillaume Contré

Un recueil mélangeant documents, correspondance amoureuse et biographie est l’opportunité de redécouvrir la vitalité et la pertinence d’une figure fondamentale du pré-dadaïsme.

Arthur Cravan, la terreur des fauves

Dans l’histoire de la boxe, on connaît la place particulière réservée à Arthur Cravan, le poète-boxeur », celui qui affronta « el gran Jack Johnson, campeón del mundo » lors d’un combat plus ou moins truqué à Barcelone en 1916 (qu’il perdit), celui encore dont « personne n’ignore le goût poétique pour les coups de poing, réels ou littéraires, qu’il pouvait asséner aux écrivains ou aux peintres dont il voulait se payer la tête » et qui fit ainsi de Gide ou d’Apollinaire ses têtes de Turcs dans son éphémère revue Maintenant, dont il était l’unique rédacteur et qu’il distribuait lui-même dans Paris. En revanche, nous dit l’auteur du livre, l’écrivain et réalisateur Rémy Ricordeau, « on connaît moins la propension aux coups de foudre amoureux dont le bel Arthur semble avoir été l’objet à plusieurs reprises au cours de sa courte existence ». Une vie aussi brève qu’intense, certainement, comme il se doit pour quelqu’un qui semblait destiné à se convertir en mythe, puisqu’il disparaît à 31 ans en 1918, au large du Mexique, alors qu’il tentait de rejoindre Buenos Aires via le Chili. Celui qui, « hostile à toute forme d’enrégimentement et de patriotisme », n’avait cessé de fuir la guerre et la conscription, de l’Espagne aux États-Unis, puis du Canada au Mexique, devait finir englouti par un néant à sa mesure, comme si la vie débordait trop en lui pour se permettre de s’installer dans la durée.
Ainsi, c’est un Cravan à la fois boxeur et amoureux qu’on nous propose dans ce recueil en forme de mosaïque qui rassemble documents d’époques (articles de journaux français, anglais, américains, consacrés à ses « outrances »), un fameux Prosopoème dans lequel Breton voyait respirer « le climat pur du génie » et, surtout, occupant le centre du volume, les nombreuses lettres enflammées que le proto-dadaïste envoya a ses deux amantes américaines, Sophie Treadwell, qu’il ne vit pourtant que de rares fois à New York et qui, effrayée peut-être par l’intensité du personnage, partit vite loin de lui, et la poétesse et peintre Mina Loy, qui finira par le rejoindre à Mexico et l’attendra ensuite en vain à Buenos Aires.
Mais Rémy Ricordeau ne se contente pas de rassembler ces éléments épars, comme autant de pièces d’un puzzle définitivement incomplet en ce qu’il achoppe toujours sur le mystère irrésolu de la disparition en mer de Cravan. Au-delà du mythe, il tente aussi de cerner ce qui fait l’actualité de cette « icône de l’insubordination la plus radicale », préfiguratrice des avant-gardes à venir. Les actions artistiques de Cravan, durant lesquelles « il harangue le public, psalmodie quelques poésies, boxe, lutte et conférencie pour le plus grand plaisir – ou déplaisir – des amateurs de sensations fortes venus le voir », sont l’opportunité d’un commentaire critique sur le devenir du happening, cette forme instantanée qu’il semble avoir inaugurée  : « Force est de constater que la seule fonction subversive du happening, cette expression du post-dadaïsme intégré au marché de l’art, fut de substituer l’effet de sidération à l’expérience sensible et le culte de la provocation au souffle de la pensée ». Dès lors, « ce fétichisme de l’immédiateté au cœur du conformisme contemporain s’est révélé pour ce qu’il était : l’exact contraire de la démarche vitaliste de Cravan ». Bref, beaucoup de bruit pour rien, là où Cravan, qui se moquait des postures, faisait de sa vie – pour le pire et le meilleur et au prix fort – une forme d’art.
La manifestation de « l’amour fou » telle qu’elle se donne dans les lettres qu’il écrit – parfois en même temps – à ses deux amantes, si elle n’atteint peut-être pas des sommets littéraires, n’en donne pas moins la mesure du personnage : « Je suis encore un peu assommé et je ne comprends pas très bien si je suis tombé d’une étoile ou d’une branche. Dans ma nouvelle orbe je me sens comme un oignon dans un bocal. Je cours, je mange, je nage et ça fait beaucoup de bien à la brute », écrit-il à Mina Loy le 20 juillet 1917 depuis le Canada. Il n’y cache pas les difficultés de sa situation de plus en plus précaire. « Je suis comme l’homme qui va se noyer ; il me semble inutile de se débattre », lui écrit-il depuis Mexico le 30 décembre 1917. Puis, plus loin : « Laisse-moi te dire que je t’ai aimé trop fort, que l’homme, hélas, n’est pas organisé pour ces amours-là ». Son enthousiasme amoureux est contagieux : « plus j’y pense plus je vois qu’il est absolument logique que nous nous retrouvions. Nous avons les mêmes goûts et je ne crois pas que dans cent ans je puisse retrouver une femme comme toi ». Et voilà qu’il esquisse cet autoportrait, mélange de fragilité et d’arrogance : « Tu m’as reproché d’être lourd et je vais me défendre en disant que seuls les lourds sont exceptionnels ». Personne ne niera qu’il le fut.

Guillaume Contré

Arthur Cravan, la terreur des fauves
Rémy Ricordeau
L’Échappée, 240 pages, 18

Arthur Cravan, le poète immodéré Par Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°222 , avril 2021.
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