C’est une voix qui se fait entendre. Pas avec un haut-parleur, ce n’est pas le genre de Thomas Vinau. Le garçon préfère les chemins de traverse de la petite (et parfois grande) édition. En neuf ans, ce ne sont pas moins de vingt-quatre titres qui ont pavé un chemin céleste reliant une littérature américaine gouailleuse en diable et les solitudes éparses d’une poésie française en quête d’une fraternité originelle. Un chemin qui relie les membres d’une même famille d’arpenteurs de l’âme humaine.
De la gouaille, le narrateur de Fin de saison n’en manque pas. Survivaliste amateur, le déchaînement des éléments le précipite au fond de sa cave pour échapper à la fin du monde. Dans ce huis clos qu’il partage avec le lapin Cono et un chien plus vieux que celui de Fante, le voilà contraint à un tutoiement qu’il n’adresse qu’à lui-même, potentiel dernier habitant de la planète. Il rassemble ses souvenirs, comme on fait son baluchon. La vie a beau être chienne, au moment de la quitter, tu découvres avoir traversé de vrais moments de beauté, si poignants qu’il faut s’en protéger : « la beauté, quelle enculade ». C’est la nuque de sa femme, Madeleine « où tu voudrais déposer une demande d’asile pour l’éternité », c’est la photo de ses enfants « leurs silhouettes à contre-jour sur la plage, le clair-obscur de leur peau, la mer en argent. (…) s’ils gardent la beauté de ce moment en eux toute leur vie, alors ils seront sauvés pour toujours. » Et c’est peut-être ce qu’il fait alors, ce narrateur : rassembler les fragments de beauté vécus et se sauver pour l’éternité. Le récit, comme la langue de l’écrivain, s’ancre dans le quotidien le plus trivial, le plus merdique (saluons la citation de Jean-Pierre Georges : « On est moins sûr de l’âme que de l’intestin ») pour y semer de tendres éclats de lyrisme, les traces d’une humanité sentimentale. Il y a de la pudeur dans cette manière de rouler la langue comme on roule des mécaniques, de faire du langage grossier le paravent de l’émotion : « quand j’ai donné une claque à mon fils sur un coup de nerfs, j’ai eu l’impression de gerber dans mon propre cœur. » L’homme convoque aussi dans sa cave les artistes et écrivains aimés, ces guides spirituels autant que fraternels. Comme le fait l’écrivain lui-même dans Les Sept Mercenaires dont le format donne une belle place aux dessins de Régis Gonzalez. On n’est pas surpris d’y retrouver, entre prose et poèmes, les figures déjà croisées de Salinger, Bukowski, Brautigan, Carver, Miller, Fante, et Harrison, ces étoiles américaines que l’écriture de Thomas Vinau, rêveusement, ressuscite doucement, comme pour nous consoler de la nuit qui vient.
Thomas Vinau, poète, romancier et nouvelliste, vous publiez deux livres dont Fin de saison. Le roman, contrairement à la poésie, a besoin d’un sujet. En quoi le survivalisme ou la fin du monde était un sujet qui vous intéressait ?
Qui n’est pas intéressé par la fin du monde ? Ça ne date pas d’hier, il y a même une...
Entretiens Seul et en bonne compagnie
novembre 2020 | Le Matricule des Anges n°218
| par
Thierry Guichard
Deux livres viennent rendre compte de l’univers poétique de Thomas Vinau, entre prose nerveuse et poésie rêveuse, entre Carpentras et Montana.
Un auteur