Dans sa préface comme à la fin du livre, Daniel Sangsue se revendique du syndrome de Diogène, lequel comme on sait ne jetait rien. D’où une « création composite, nous dit son auteur, tenant à la fois du journal intime, de la chronique, de l’essai et de ce que l’on appelait autrefois des ana ». Ce sont les fantômes qui donnent son unité ou au moins son prétexte à une écriture aussi variée que le sont ses objets. Les fantômes ? Plutôt la « revenance » : ce qui revient, ce sont quantité d’histoires de fantômes puisées dans la bibliothèque, dans le cinéma, dans des témoignages de maisons hantées. Mais de façon plus subtile, le diariste, qui date scrupuleusement les jours, a l’art de faire de chaque événement grand ou petit du quotidien une apparition à saisir au vol et conserver : lectures, voyages, pensées, choses vues ou entendues, rencontres de hasard, travaux d’écriture (un roman, Les Fantômes du presbytère), correspondance avec des lecteurs du premier tome de son Journal ou de ses essais savants sur la « pneumatologie », beau nom pour cette science des esprits inventée par un bel esprit, et plus souvent farceur qu’à son tour.
À mesure que s’accumulent les histoires de fantômes, on est comme submergé et étourdi par le sentiment de prolifération. La légèreté alterne avec la mélancolie. Voire la gravité, qui se révèle au mieux, ici ou là, dans le récit des deuils et les apartés sur la finitude de l’existence humaine et l’inéluctabilité de la mort. Entre mille, au détour d’une lecture de Pierre Michon, l’idée que « la tombe est au final la seule preuve de l’existence d’un individu. Il est né, il a vécu ». Le tour de force du livre est que ces impressions sont toujours et assez vite distraites, et consolées, par l’anecdote – une heureuse trouvaille dans un vide-grenier, la connaissance de nouveaux voisins, la visite d’un musée, une sortie au cinéma. Mais soudain, une seule ligne suffit à remplir un jour : « 24 février/ Poutine attaque l’Ukraine ».
Le livre excentrique, à l’humour très british (et parfois exquisément féroce), d’un gentleman helvète, aveyronnais de cœur. À lire et à relire d’un bout à l’autre comme dans le désordre.
Daniel Sangsue, le titre du premier tome de votre journal, qui couvrait les années 2011 à 2018, était simplement Journal d’un amateur de fantômes. Celui du suivant, Les Fantômes comme les chats choisissent leurs maîtres, postule une élection. À l’origine de votre passion, y a-t-il eu une apparition ? Une visitation, quelque chose comme un appel de la vocation ? Nous nous autorisons le lexique religieux : après tout, vous logez dans un ancien presbytère…
Le Journal d’un amateur de fantômes accompagnait mes recherches sur les fantômes dans la littérature du XIXe siècle, recherches qui ont abouti à deux essais. Ce journal recueillait des histoires de fantômes qui m’avaient été racontées, des notes sur des films, des émissions, des expositions, des lectures qui n’entraient pas dans le...
Entretiens Hantologie du vide-grenier
mai 2024 | Le Matricule des Anges n°253
| par
Jérôme Delclos
Le second tome du journal de Daniel Sangsue confirme un auteur aussi facétieux qu’érudit et pensif. Élégante, la pudeur de l’humour.
Un livre