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septembre 2020 | Le Matricule des Anges n°216 | par Thierry Cecille

Dans un récit à la fois ample et intimiste, Alice Ferney confronte ses personnages aux choix et dilemmes que notre monde, complexe, ne cesse de dresser devant nous.

On se souvient de l’incipit d’Anna Karénine de Tolstoï : « Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l’est à sa façon ». Peut-être conviendrait-il, à l’issue de la lecture des centaines de pages de ce passionnant roman, de le reformuler ainsi : chaque famille qui cherche à être heureuse le fait à sa façon. C’est d’autant plus vrai dans l’Occident d’aujourd’hui, qui semble laisser à chacun la pleine disposition de ses parcours sentimentaux et sexuels – à un point tel que d’aucuns peuvent avoir le sentiment de vivre en roue libre. Ici, un homme insiste pour que la femme qu’il aime lui donne un enfant, celle-ci meurt en accouchant du bébé tant désiré, devenu veuf et père, l’homme, peu à peu, se recompose une existence, tombe amoureux de nouveau, se marie – mais cette femme-là ne veut pas, elle, lui accorder l’acte sexuel qui donnerait la vie et préfère avoir recours à la gestation pour autrui…
Alice Ferney précise ainsi son ambition : « Après la traversée du XXe siècle qu’a représentée l’écriture des Bourgeois, j’ai souhaité m’intéresser au temps présent. (…) J’avais peu de certitudes, je ne prétendais pas juger (…) J’ai laissé notre époque et ses grands débats me donner des idées de personnages, de points de vue, de désirs, d’événements ». Elle ajoute, avec modestie : « Il ne me revient pas, évidemment, d’annoncer ou de commenter le résultat : comme disait Virginia Woolf, les livres tiennent tout seuls sur leurs pieds ». Et il est certain que le défi a été relevé sans défaillance aucune : tout, ici, est à la fois vraisemblable et complexe, on pourrait même aller jusqu’à dire que les personnages et les scènes les plus marquantes ont davantage de poids, de consistance, que ce que nous offre notre quotidien. Sans doute la réussite tient-elle en particulier à la forme narrative : si le récit est fait à la troisième personne, le narrateur, loin d’être omniscient, semble suivre, découvrir plutôt les personnages en même temps que le lecteur. La voix est celle d’un observateur, plein de curiosité et d’empathie, d’une sorte de chaleureuse et indulgente attention aux êtres. En outre, une part importante du roman est composée de dialogues, toujours justes, vifs et intelligents, et nombre de pages nous introduisent habilement – en recourant à une sorte de monologue intérieur indirect – dans la conscience des personnages, nous permettant d’avoir accès à leurs interrogations, à leurs incertitudes ou à leurs certitudes fragiles ou plus établies.
Le doute, en effet, nous entoure, nous enserre : « La vérité à certains moments peut être semblable à un délire ». Dans le deuil, le paysage tout entier de notre présent est modifié : « C’est petit à petit que nous découvrons l’espace de la mort des autres dans notre existence où ils avaient leur part ». Les questions ne cessent de se succéder, perturbatrices, taraudantes parfois quand elles peuvent conduire à des décisions, des actes qui engagent l’individu et avec lui, souvent, ses proches. Notre liberté est en même temps responsabilité, nos désirs ou nos refus provoqueront, au-delà de nous, joies ou tourments, nos principes ou nos préjugés peuvent nous enfermer ou restreindre la liberté de l’autre, que nous aimons pourtant et qui nous aime. Il nous faut parfois, dans l’instant, dans l’urgence, faire un choix qui conduira notre vie sur un chemin imprévu. L’intelligence même la plus alerte peut être prise en défaut, la sensibilité peut aveugler, la passion empiéter sur la raison.
Au cœur du roman se pose ainsi la question de la possibilité ou de l’impossibilité de donner la vie, du refus ou du désir – qui peut aller jusqu’à l’obsession – d’avoir un enfant : les points de vue s’affrontent, l’une accusant notre époque d’être « pédo-centrée » et de soumettre les femmes à une nouvelle « bioéconomie », l’autre voulant faire l’expérience de « l’attachement » unique que la maternité représente. C’est également le nouvel état des relations entre les femmes et les hommes qui est ici mis en jeu, examiné : « On avait changé le sens du déséquilibre (…) la maternité était un choix, la paternité pouvait être contrainte » ou refusée à l’homme qui la souhaite mais ne peut disposer du corps complice et adversaire à la fois de la femme. Alice Ferney nous offre alors avec Alexandre, le personnage principal, le magnifique portrait d’un homme que la vie abat puis ressuscite peu à peu : échappant au « garrot de la mélancolie », il apprend à s’émerveiller de « l’acuité enfantine » de cette fille que le destin lui a confiée et tente, patiemment, d’éveiller le désir de cette femme qui l’aime mais se refuse, avec tendresse. L’espoir résiste et le guide : un jour, sans doute, « il déferait la suture par la douceur ».

Thierry Cecille

L’Intimité, d’Alice Ferney
Actes Sud, 360 pages, 22

Ici et maintenant Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°216 , septembre 2020.
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