Des études de cinéma pour l’un (Florian), un cursus d’histoire et un master d’édition pour l’autre (Yves) : les frères Torrès ont bâti en 2018 à Marseille une solide embarcation pour traverser les vents mauvais. Né en 1986, « au pied du Vercors », Yves apprit le métier aux éditions Fage (livres d’art) puis chez Elyzad, enseigne tunisienne, « notamment la question de la commercialisation ». Le Typhon, on s’en douterait, ne publie pas des bluettes. Mais des fictions puissantes et poignantes (La Mort à Rome de Wolfgang Koeppen, Et frappe le père à mort de John Wain), quand elles ne sont pas hautement terrifiantes, perturbant les sens (Eltonsbrody du Caribéen Edgar Mittelholzer). Le catalogue compte huit titres, répartis en deux collections : « Après la tempête » et « Les hallucinés ». Repoussant les frontières (géographiques et génériques), élargissant les horizons de la « littérature du réel », la jeune maison a inauguré son domaine français au printemps, avec le bluffant Chien noir d’une primo-romancière, Lucie Baratte. Un conte merveilleusement violent avec des morceaux de Barbe Bleue et de Billy Idol dedans. Le noir est bien une couleur. Le Typhon semble y prendre goût : six autrices explorent en cette rentrée L’Étrange féminin en une anthologie à l’imaginaire hanté.
Yves Torrès, le catalogue du Typhon s’est ouvert avec deux auteurs britanniques issus des « Jeunes hommes en colère », John Wain et Keith Waterhouse. Comment présenter ce mouvement ?
C’est un courant littéraire de l’Angleterre d’après-guerre. Après un vent d’idéal et la conquête d’acquis sociaux (Ken Loach le montre bien dans son documentaire L’Esprit de 45), c’est le retour des conservateurs et de l’immobilisme. Dans le paysage littéraire, dominé par les comédies de mœurs et les expériences formelles, des jeunes écrivains comme Alan Sillitoe ou John Wain s’en prennent à l’establishment. Issus des classes ouvrière ou moyenne, ils veulent échapper à cette prison que la société leur impose. Ils ont fréquenté des lycées de province. Ils jugent le système social aliénant. Leur langue est vive, nerveuse, insolente. L’événement qui cristallisa le phénomène fut la représentation, en 1956, à Londres, de la pièce de John Osborne, Look back in Anger (La Paix du dimanche) avec cette fameuse tirade, qui scandalisa le public : « Dieu, famille, travail, nation, (…) je vous hais ». La postérité de certaines de ces œuvres fut ensuite relayée par des adaptations cinématographiques du free cinéma, l’équivalent de la Nouvelle Vague.
En fait, ces textes des « Angry Young Men », je les avais étudiés en fac d’histoire. Et les livres étaient épuisés. Il fallait donc les rééditer ! De son côté, mon frère est un fan de Roger Nimier et des hussards, les cousins de droite des « Angry Young Men »…
Keith Waterhouse est une autre figure importante de ce mouvement. Billy le menteur, très populaire en Angleterre, est un texte que j’adore. Un type qui s’échappe de la réalité en...
Éditeur Chasser les fantômes
septembre 2020 | Le Matricule des Anges n°216
| par
Philippe Savary
Entre récits post-conflit et littérature gothique, les prometteuses éditions du Typhon explorent le pouvoir émancipateur de la fiction.
Un éditeur