La couverture est d’un bleu gris tirant sur le vert, couleur d’aube ou de crépuscule, le titre est accompagné du sous-titre « Le livre interdit », et une photographie montre un homme las ou pensif, la soixantaine ridée et même tavelée, accoudé on ne sait où, coiffé d’un chapeau qui lui confère une élégance modeste, entre l’artiste et le paysan. On avoue ne pas connaître ce nom – et l’on apprend qu’il s’agit d’un grand designer italien, créateur, en particulier, d’une célèbre machine à écrire Olivetti, portative et… rouge. On entre alors avec précaution, pour ne pas dire suspicion, dans ce livre élégant lui aussi – mais, d’emblée, Ettore Sottsass est là, nous parle, proche, vivant. C’est bien de vie, en effet, qu’il s’agit, dans ces pages échappées, si l’on comprend bien, à un Journal bien plus conséquent, d’appétit de vivre, d’aimer, de voir, de sentir. Si les femmes désirées occupent ici la première place se succèdent également des paysages, des rencontres – et tout cela donne lieu à des méditations personnelles d’une écriture précise, balançant toujours entre la mélancolie contenue et la discrète autodérision. Ainsi s’étonne-t-il : « Étrange qu’à cinquante-sept ans on puisse tomber amoureux comme un imbécile. Qu’on puisse rêver les choses les plus fantastiques, souffert comme on n’a jamais souffert… » Tenter de partager « un amour sans bassesse » n’est pas toujours aisé, il faut savoir « vaguer et divaguer ensemble ». Il est également salvateur de parfois tourner le dos à « l’hystérie » de nos existences pour contempler « la pénombre lumineuse et pathétique propre à l’été méditerranéen, dont on porte toute sa vie la nostalgie ».
Le vieillissement peut être un chemin parcouru avec pour viatique une sagesse accessible : « Moi j’aime les gens qui ne sont pas sûrs d’eux, les perplexes, les modestes, ceux qui essayent de comprendre, et qui restent toujours dans l’état d’esprit de celui qui n’a pas compris ».
Thierry Cecille
Écrit la nuit, d’Ettore Sottsass
Traduit de l’italien par Béatrice Dunner,
Éditions Herodios, 100 pages, 16 €
Domaine étranger Écrit la nuit, d’Ettore Sottsass
mai 2020 | Le Matricule des Anges n°212-213
| par
Thierry Cecille
Un livre
Écrit la nuit, d’Ettore Sottsass
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°212-213
, mai 2020.