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Domaine étranger Hiver de prague

mai 2020 | Le Matricule des Anges n°212-213 | par Yann Fastier

Dans la capitale tchèque figée sous la botte nazie, tout un petit peuple de bonne volonté résiste à la bêtise et à l’horreur. Réédition.

Mendelssohn est sur le toit

On aura beau croire avoir déjà tout lu sur le sujet, les nazis ne cesseront jamais de nous surprendre. Comment pareille barbarie fut-elle possible ? Et, surtout, comment ne cesse-t-elle de l’être ? Car le propre du nazi – et peut-être sa punition – c’est de hanter un éternel présent, de n’être jamais passé, de faire l’objet d’une mémoire sans cesse réitérée non seulement par l’histoire mais aussi par la littérature. Il était donc possible d’écrire après Auschwitz, ne serait-ce que pour témoigner, et c’est justement cette voie du témoignage que devait emprunter Jiří Weil (1900-1959) avec son dernier roman, paru un an après sa mort, pour aussitôt devenir un classique de la littérature tchèque.
Il faillit pourtant bien ne pas paraître du tout, la censure communiste ne le trouvant pas assez héroïque à son goût. C’est qu’aux accents parfois grandiloquents de la littérature de Résistance, Mendelssohn est sur le toit préfère un certain ton bonhomme, teinté de cet humour aimablement satirique qui semble n’appartenir qu’aux Tchèques, comme une affirmation de la vie face à la mort qui, ces années-là, pactisait franchement avec l’ennemi : « La mort était le fief des envahisseurs. Ils la célébraient dans leurs chants et leurs marches. Elle était leur meilleure amie ». Une bonhomie qui ne signe cependant aucune légèreté face à l’iniquité. Tout est dit, tel qu’il fut, dans un livre où le documentaire le dispute souvent au littéraire : la déportation massive des Juifs de Bohême-Moravie (plus de 70 000 y laisseront la vie), la sanglante mascarade du « ghetto modèle » de Theresienstadt, les exécutions, l’arbitraire érigé en règle, les humiliations constantes et jusqu’au meurtre particulièrement abject de deux petites filles. Face à l’horreur, les héros de Jiří Weil sont avant tout ceux du quotidien. Ce sont des Tchèques ordinaires, juifs et non-juifs, tous unis, cependant, par une même détestation tranquille des envahisseurs « avec leurs tambours, leurs fifres et leurs queues de cheval », gueulards, avides et mesquins, loin de l’imagerie marmoréenne véhiculée par leur propagande.
Tout part d’une statue. Heydrich, grand « protecteur » de Bohême, a ordonné le déboulonnement d’une statue de Mendelssohn sur le toit de l’ancien Parlement. Le SS lambda qu’on a chargé de la mission y perd son gothique : laquelle de toutes ces statues est celle du compositeur juif ? De proche en proche et de petit chef en plus grand chef, la question va mettre en branle tout un chassé-croisé de personnages dont on suivra ensuite le parcours individuel : ce sera, par exemple, Rudolf Vorlitzer, ancien médecin juif qui se meurt de la maladie de la pierre, ou bien son ami Jan Kruliš, résistant, auquel il a confié la survie de ses deux jeunes nièces, ou bien encore Richard Reisinger, un jeune juif dont les multiples emplois forcés feront de lui le complice involontaire des nazis ou bien encore celui d’Antonín Bečvář, modeste employé de mairie que l’arbitraire des nouveaux maîtres enverra au STO…
Tous, quels qu’ils soient, s’unissent pour former le tableau d’une société sous la botte tandis que la tragédie s’achemine vers sa fin. Car, derrière la bouffonnerie, la mort est toujours là, qui « se collait aux talons de sa victime et la terrorisait de ses clameurs ». Ce qu’il conte, Jiří Weil en a été le témoin direct, n’échappant à la déportation que par miracle avant de rejoindre la clandestinité. Alors qu’il est interdit de publication pour avoir trop tôt dénoncé les crimes de Staline, son poste au Musée juif de Prague lui permettra néanmoins de rédiger la terrible Complainte pour 77 297 victimes qui accompagne le livre en introduction et dont l’horreur n’égale que la dignité. Celle-là même, sans faille, que l’on retrouve derrière l’apparent détachement de Mendelssohn est sur le toit, comme un sourire embellit un adieu.

Yann Fastier

Mendelssohn est sur le toit, de Jiří Weil
Traduit du tchèque par Erika Abrams
Le nouvel Attila, 295 pages, 20

Hiver de prague Par Yann Fastier
Le Matricule des Anges n°212-213 , mai 2020.
LMDA papier n°212-213
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