Évidemment le titre est une antiphrase. Car une telle clinique, illégale de surcroît, est à la lisière de la détention militaire et du bordel. C’est grâce à une narratrice plutôt idiote que le tableau est peint, non sans un réalisme cru. Elle s’appelle Wenshui ou « Pêche », elle n’est pourtant qu’un numéro parmi ses camarades aux yeux de l’institution et du chef Niu, dont la corpulence lui vaut le surnom de « Boulette de Bœuf ». Les pensionnaires, apparemment gâtées, ne manquent de rien, sauf de liberté. Aussi « Clémentine », « Fraise » bavardent, complotent, se chamaillent, se soutiennent… Pour l’une ce n’est que « louer son utérus », pour Niu elles n’offrent « qu’un hébergement ». L’on ne s’embarrasse pas de viols en guise de sélection génétique. Il est « interdit de parler de sentiments et d’amour maternel ». Néanmoins tout ne se déroulera pas comme prévu, car la production capitaliste, « avec le corps comme capital », ne sera pas aussi juteuse que prévu ; il fallait s’y attendre : « Boulette de bœuf a révisé la ligne politique ».
Malgré son apparence parfois burlesque, un tel récit vigoureusement satirique ne peut manquer d’apporter une lourde pierre parmi les débats autour de la gestation pour autrui. Il n’est pas impossible que dans une bibliothèque féministe il puisse être posé non loin de La Servante écarlate de Margaret Atwood.
Sheng Keyi est une romancière confirmée, née en 1973 dans le Hunan, puisque l’on connaît d’elle La Fille du Nord, en partie autobiographique, dans lequel elle prend fait et cause pour la condition féminine chinoise. Car la femme ne pouvant avoir plus de deux enfants, elle est opprimée. L’on se doute que la censure a œuvré, la contraignant à publier Death fugue à Taïwan et en Australie. Ce Paradis, qui n’honore pas la Chine communiste, est également illustré par les aquarelles de l’auteure.
Thierry Guinhut
Un paradis, de Sheng Keyi
Traduit du chinois par Brigitte Duzan, Philippe Picquier, 178 pages, 17 €
Domaine étranger Un paradis
novembre 2018 | Le Matricule des Anges n°198
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°198
, novembre 2018.