C’est un modèle de recherche : Pauvert l’irréductible démontre qu’à force de travail, une biographie peut être équilibrée, riche et n’occulter aucun aspect d’une existence, fût-elle riche. Son objet, Jean-Jacques Pauvert, incarne depuis les années 1970 une figure qui a pris une place dominante dans l’histoire de la vie culturelle, celle de l’éditeur novateur et pugnace dont ses hagiographes ont abusé à l’heure où le non-conformisme est devenu un autre conformisme. Avec beaucoup de subtilité et en exploitant des sources inédites, Chantal Aubry a relevé ce qu’avait été le parcours d’un homme, Pauvert, dans un milieu, l’édition littéraire française de la seconde moitié du XXe siècle et en a dessiné les points forts et certaines faiblesses. Foin des mythes, voici quelques vérités sur l’éditeur des bizarres et des originaux, des érotiques et des imaginatifs les plus poivrés de sa génération, le contemporain d’Éric Losfeld et de Claude Tchou, de Robert Laffont et de quelques autres…
Vous livrez une biographie éditoriale de Jean-Jacques Pauvert extrêmement fouillée. Combien de temps ont pris vos recherches ?
Un peu plus de trois ans. Mais j’ai le sentiment qu’elles auraient pu durer beaucoup plus. Le sujet est inépuisable. D’ailleurs, depuis que le livre est terminé, mes lectures m’y ramènent systématiquement. Il y a là comme une addiction !
Les avanies économiques de la maison Pauvert, qui ont débouché sur des rachats, vous ont-elles rendu les choses difficiles pour la consultation des archives par exemple ?
Je dois vous raconter une anecdote amusante à ce sujet. Elle se rattache aux archives déposées à l’Institut de la Mémoire de l’édition contemporaine (IMEC) par Hachette. Comme je le rappelle, à partir de 1973, Jean-Jacques Pauvert a perdu son indépendance, et sa maison, créée dans l’immédiat après-guerre, a été progressivement rachetée par le groupe Hachette. Lequel est devenu propriétaire non seulement du fonds, mais aussi des archives de Pauvert, où figuraient tous les documents relatifs à la marche quotidienne d’une maison d’édition, comme à ceux qui concernaient ses tribulations financières. À ma grande surprise, les services de l’ancienne « pieuvre verte » ne m’ont pas autorisée à accéder aux archives de Pauvert au-delà de l’année 1973, date du début du rachat. Mais Jean-Jacques Pauvert avait de son côté minutieusement gardé toutes les correspondances administratives et tous les documents concernant son activité, y compris ceux qui concernaient ses négociations financières avec les grands groupes, Presses de la cité et Hachette. Ses archives ont été acquises par la BNF en 2016. Si bien qu’avec l’autorisation de Corinne Pauvert, la fille de Jean-Jacques et son exécutrice testamentaire, j’ai pu avoir accès à tout ce dont, pour de mystérieuses raisons, on avait voulu me tenir éloignée. Une sorte de tour de magie, finalement très « pauvertien » !
À quel moment avez-vous décidé de vous lancer...
Entretiens Dépoussiérer la statue
octobre 2018 | Le Matricule des Anges n°197
| par
Éric Dussert
Ancienne salariée de Jean-Jacques Pauvert, l’essayiste Chantal Aubry s’est attaché à rendre au personnage et à son catalogue leur lustre en appliquant aux sources une lecture attentive.
Un livre