Tout commence quand Liborio, jeune mexicain clandestin em-ployé dans une librairie du sud des États-Unis, prend la défense d’une femme dans la rue. Il ne supporte pas d’entendre « les crevards et les blaireaux dérouler leurs langues baveuses, la siffler, essayer d’embrasser toutes ses circonférences, se frotter contre chaque angle de son beau quadrillage ». Lui, le « gabacho » (l’étranger), devient peu à peu inséparable de cette « gisquette » (jeune femme). Elle s’appelle Aireen et l’entraînera dans un flot d’aventures impossibles à résumer, pétries d’argot et de rebondissements.
L’énergie et la fraîcheur qui se dégagent de Gabacho ne sont sans doute pas étrangères à l’extrême jeunesse de son auteure, née en 1995. Sa langue, résolument moderne, ne s’embarrasse pas de belles paroles, et relègue très loin la « rhétorique archaïque, désuète, vieillotte, snob » des parents. Elle préfère l’indiscipline, le désordre et « les pétasses un peu plus culottées, les phrases qui veulent tout dire et vous lâchent pas le sens du bout des dents ». Si les « fuck » et le verlan ponctuent les dialogues, les néologismes ne sont pas en reste, donnant naissance à des adjectifs qualificatifs ubuesques. Respiration « groingroinesque », regard « wahouesque », insulte de « califragilisticexpialidoque » : tout est truculent et extrême. Ce mélange de spanglish et d’aberration construit un univers explosif, coloré, à l’image du roman.
Les péripéties auxquelles Liborio est confronté se succèdent à un rythme effréné. Pas le temps d’analyser ni d’apprécier ce qui survient, « ça fait des étincelles, des pépites d’origan, des exhalations volcaniques, des diatribes emplumées ». Les mouvements de la ville imprègnent le quotidien des personnages, qui vivent dehors, dans les rues, à la merci des agressions sonores et verbales incessantes. La position des femmes est particulièrement vulnérable. Jaugées et apostrophées avec peu de délicatesse, elles sont à la merci des hommes. Ces derniers, quels qu’ils soient, règnent sur la ville. Quant aux femmes, elles sont victimes résignées ou révoltées.
Parfois, au cœur même des épisodes tumultueux, la naïveté du narrateur ressurgit. Les réflexions inattendues qu’il laisse échapper nous rappellent que l’innocence est encore possible dans ce monde adulte et excessif. L’amour (« une pluie de miroirs qui reflètent notre propre vide ») et la vie (« tous ces petits riens qu’on peut pas mesurer avec les mains ni attraper avec les yeux ») sont en effet les grandes et belles thématiques de Gabacho, qui oscille entre poésie et initiation sans jamais s’essouffler.
Camille Cloarec
Gabacho, d’Aura Xilonen
Traduit de l’espagnol (Mexique) par Julia Chardavoine, Liana Levi, 384 pages, 22 €
Domaine étranger De la fureur à ras du bitume
mars 2017 | Le Matricule des Anges n°181
| par
Camille Cloarec
Impétueuse, effervescente, la jeune Mexicaine Aura Xilonen nous offre un premier roman initiatique et fougueux.
Un livre
De la fureur à ras du bitume
Par
Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°181
, mars 2017.