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Domaine français À corps perdus

novembre 2016 | Le Matricule des Anges n°178 | par Chloé Brendlé

Sous la forme d’un roman et d’une pièce de théâtre, Laurent Mauvignier propose deux façons de trouver sa voix, celle d’un adolescent en rupture de ban, Samuel, et celle d’une femme sans nom que plus rien ne semble toucher.

Écoutez, je vais vous dire, même si je ne suis pas sûre que vous m’entendiez, que vous compreniez – je suis même sûre que je pourrais aussi bien vous parler de n’importe quoi et que je parle dans le vide, c’est ça, n’est-ce pas ? » Ainsi s’adresse la « Femme » d’Une légère blessure à la jeune fille qui l’aide à préparer le repas de famille. De cette servante moderne, on ne sait rien, puisqu’elle n’apparaît jamais, ne répond pas, double du lecteur-spectateur mais aussi autre chargée de tous nos fantasmes – elle serait arrivée en France par bateau, ne parlerait pas français, viendrait d’un pays où l’on lapide des femmes. Tandis que l’inconnue découpe les aliments, la maîtresse de maison laisse se craqueler sa vie dans un monologue de plus en plus amer. La représentation de cette pièce au Théâtre du Rond-Point tout au long du mois de novembre dira si l’absence d’interlocuteur fonctionne à la scène ; le texte donne en tout à cas à entendre avec force les nuances du désamour et de la violence.
Très différent semble à première lecture le nouveau roman de Laurent Mauvignier, Continuer. Continuer déborde d’images exotiques : chevaux, yourtes, montagnes, aube, Kirghizistan, mais aussi loups, pistolet, précipice, nuit. Continuer confronte deux personnages bien présents : un fils, Samuel, « corps en pleine puberté, l’adolescence avec sa maladresse et cette raideur un peu idiote, ce corps d’adulte qui veut naître, qui veut s’extraire d’un corps trop étroit », une mère, Sibylle, qui peine à se reconnaître dans le sien. Ils ne se parlent guère, ils cohabitent. Continuer donne corps à une injonction d’époque, « lâcher prise », pour mieux l’interroger : il s’agit de rattraper la vie qui part à vau-l’eau. Samuel décroche, sa mère l’embarque dans un périple initiatique. Du huis clos au western, il n’y a pourtant qu’un pas.
Continuer fait exploser au grand air les conflits intimes, et nous emmène en zigzag du ploc ploc du robinet d’une cuisine qui fuit au ploc ploc d’une tempête. Une même pulsion de l’écriture traverse Une légère blessure, mais aussi l’œuvre entière de l’écrivain : se faire électrocardiogramme, prendre la tension d’une scène, faire parler les détails. Ce n’est pas dans les dialogues que Mauvignier est le plus percutant mais dans les silences assourdissants, les mots adressés comme une bouteille à la mer et ceux qui vous giflent de l’intérieur : « Parce que, quand ils vous reviennent en tête, les souvenirs éclatent à votre cerveau comme les mots qu’un inconnu vous susurrerait à l’oreille, l’air de rien, avec cette discrétion et ce culot incroyable de celui qui débiterait en souriant ses obscénités dans le métro.  » (Une légère blessure) Surgir. On songe à ces embardées de la narration qui trouent le récit de Continuer : derrière le roman de voyage tiré d’un fait divers, des passages de cauchemars, des flash-back, des scènes irréelles d’enlisement et de régénérescence. Des motifs qui courent, du Pégase d’une station-service aux chevaux célestes du Kirghizistan, et au reflet de soi dans l’œil d’un cheval qui meurt. Continuer montre mieux que jamais le désir de cinéma de l’auteur, et c’est peut-être sa plus grande réussite.
La ligne narrative est épurée, les phrases courtes, sauf quand le moteur romanesque s’emballe ; les verbes d’action se multiplient. Question de souffle, qui hante la littérature depuis Beckett, question de lutte aussi : de Réparer les vivants de Maylis de Kerangal à Rester vertical d’Alain Guiraudie, la résilience est au goût du jour. Comment incarner et transmettre des valeurs positives en temps de détresse ? Quelque chose d’essentiel mais de fragile se joue ainsi dans Continuer, entre ce que l’on sent nécessité intime (continuer à écrire) et volonté de donner une fable et des héros à son époque tourmentée (résister à la lâcheté et au racisme). Mauvignier rétablit l’axe du bien et du mal, à travers des clins d’œil à Star Wars et la rédemption du fils, quand il s’agissait souvent dans ses précédents romans de déconstruire des valeurs prêtes-à-penser. Rien ne dit mieux ce renversement que la reprise d’une phrase d’Autour du monde (2014)  : une riche Française disait à un employé d’hôtel de Dubaï qu’elle aimait « aller à la rencontre de l’autre ». Le fils prodigue de Continuer, lui, comprend qu’il faut « aller à la rencontre des autres  ». C’est là que l’on peut avoir plus de mal à suivre Mauvignier. Et préférer au message politique l’ambivalence littéraire, la torsion, la brûlure qui font dire à Sibylle : « On n’est pas un autre. On n’est que ce corps, on n’est que ce désir bordé de limites, cet espoir ceinturé » Chloé Brendlé

Continuer, de Laurent Mauvignier, Éditions de Minuit, 239 p., 17 , et Une légère blessure, Éditions de Minuit, 44 p., 6,80

À corps perdus Par Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°178 , novembre 2016.
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