Il n’y a pas de désordre sans prison, ni d’ordre sans prison. Avec Ramón Sender on a droit au pire : une prison abjecte. Nous sommes sous la dictature de Primo de Rivera, dans une Espagne où les années 20 étranglent les promesses de l’illusion communiste, comme du progrès libéral. Un jeune journaliste, incarcéré à la Moncloa, le plus vaste établissement pénitentiaire de Madrid, est témoin d’une explosion de colère, d’une émeute éphémère ; mais les espérances sont déçues par la brutale répression, puis par les exécutions au garrot. Entre le tyrannique « Ordre Public » et « l’ordre universel » des libertaires, le monde est scindé en deux.
Ce pourrait n’être qu’un documentaire romancé, une galerie de portraits de voleurs et criminels : « le Pompon », « le Zèbre », « le Bibliothécaire », « la Tripe »… Mieux, « le Journaliste » incarcéré converse avec un personnage pour le moins insolite qui est « le Vent ». Ce sont des prisonniers politiques, en « cette braderie qu’est la morale espagnole ». Entre « messe » et « isolement fers aux pieds », le « devoir est de semer les haines et de les féconder dans le sang ». Si le roman engagé pèche par manichéisme, dénonçant avec verdeur le clergé et « le bourgeois », l’écriture est colorée, puissante, mêlant lyrisme et tragique, imprégnée de réalisme magique : jusqu’à la présence du « diable ».
Ce sombre et néanmoins énergique roman, paru en 1931, fut inspiré à Ramón Sender par sa propre détention, à cause de ses convictions anarcho-syndicalistes et de ses protestations contre la dictature militaire. Quoiqu’inscrit dans un contexte politique daté, prémices du franquisme à venir, il reste intemporel.
Thierry Guinhut
O.P. (ORDRE PUBLIC)
DE RÁMON SENDER
Traduit de l’espagnol par Claude Bleton,
Le Nouvel Attila, 240 pages, 18 e
Domaine étranger O.P. (Ordre Public)
juin 2016 | Le Matricule des Anges n°174
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°174
, juin 2016.