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Domaine étranger En quête du doute

janvier 2014 | Le Matricule des Anges n°149 | par Martine Laval

L’Espagnol Javier Cercas part en guerre contre nos certitudes. Les Lois de la frontière n’est rien qu’un grand décrassage salvateur.

Les Lois de la frontière

Obsession qui tournerait à la maniaquerie ? De livre en livre, Javier Cercas traque l’ombre, l’envers du décor, ou du miroir. Il talonne l’infime, le petit machin à peine discernable, le détail qui tue parce qu’on ne le voit pas, non pas parce qu’il est noyé dans la masse mais parce que nos yeux sont fatigués, nos consciences endormies. Alors Cercas scrute, cherche, renifle, s’interroge, inlassablement. Il manigance ses romans à partir d’un presque rien : un échange de regard, à la vie à la mort, entre un écrivain phalangiste et un ouvrier républicain dans Les Soldats de Salamine (2002) ; un geste de courage, celui d’un homme posant une main sur le bras d’un autre lors d’une prise d’otages, à Madrid, un 23 février 1981 dans Anatomie d’un instant (2010) ; une attitude de soumission, celle d’un ado bourré de tourments, Ignacio Canas, dit le Binoclard, qui cède sans mot dire, tête baissée, sa place au flipper à Zarco, chef d’une bande de petites frappes, et future star de la délinquance. Ainsi s’ouvre son nouveau roman Les Lois de la frontière.
Javier Cercas n’écrit pas un livre de plus, une histoire de plus. Il plonge encore davantage dans le désordre du monde, le chaos de nos incertitudes, essaie de capter, de comprendre, d’écrire cet instant où tout bascule : la dignité, l’amour, la morale, la loi, et cette frontière fragile, éphémère, qui finalement existe si peu entre le noir et le blanc, l’innocence et le mal, la dictature et la démocratie. Parce qu’il n’y a pas une seule et unique vérité – le danger est de le croire – Javier Cercas, embobineur surdoué, refuse une narration trop traditionnelle à son goût, fait passer en quelque sorte la littérature aux aveux, et ruse. Il se méfie du romanesque et de lui-même, et joue avec brio au faux roman, à l’enquête journalistique façon polar, s’amuse de la rivalité entre fiction et réalité, entre écrivain et journaleux : « Je suis de ceux qui croient que la fiction dépasse toujours la réalité, mais que la réalité est toujours plus riche que la fiction », fait-il dire à l’un de ses protagonistes. L’auteur fait semblant d’avancer à tâtons, il prend des chemins détournés tout en maîtrisant son propos : mettre en lumière l’ambiguïté de l’Homme, et du coup, celle de l’écrivain.
Les Lois de la frontière se devait d’être construit façon livre « chorale ». La même histoire, celle de l’amitié tortueuse entre le Binoclard et Zarco, est donc racontée à plusieurs voix, seul stratagème possible pour discerner le vrai du faux, explorer les interstices entre désir et haine, fascination et répulsion, fidélité et trahison. Un tandem fragile à l’image de l’Espagne en cette fin de l’été 1978. Franco est mort, mais son spectre règne toujours sur les âmes et la démocratie peine à s’inventer.
Vingt ans plus tard. Un faux journaliste ou un vrai écrivain interroge tout à tour un flic, un directeur de prison, et ce Binoclard devenu avocat. De méandres en soubresauts, Cercas – faux journaliste vrai écrivain – manipule ses personnages et évidemment ses lecteurs. Fils d’une famille sans histoire, très classe moyenne, le Binoclard, par faiblesse, par envoûtement, entre dans la bande de Zarco, tous gosses des rues confrontés à l’abandon, et pour qui le futur n’existe pas. Ils défient la loi et les mœurs, brûlent sans crainte leurs vies misérables, carburent à la drogue, piquent des bagnoles juste pour le plaisir, cumulent les braquages pour frissonner, se désennuyer, rire. Ils se moquent du fric, de l’ambition, de la société. Zarco se fera prendre, passera sa vie en prison. Le Binoclard, lui, d’une façon énigmatique, sera épargné…
Sur cette trame faussement simple, mais bel et bien tendue, fiévreuse, Javier Cercas écrit une histoire sans fin, faite de méprises et de ratages, de doutes et de mystères. Humaine, si bêtement humaine, si forcément nôtre.

Martine Laval

Les Lois de la frontière
Javier Cercas
Traduit de l’espagnol par Élisabeth Beyer et Aleksandar Grujicic
Actes Sud, 346 pages, 23

En quête du doute Par Martine Laval
Le Matricule des Anges n°149 , janvier 2014.
LMDA PDF n°149
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