Présomptueux petit point dans l’étendue blanche : un homme marche dans le Grand Nord. Étrangement insensible à la terrible inhospitalité du lieu. Seul, ou presque – à ses pas, un chien. Seul, avec le sentiment, nourri par le « sang chaud qui circulait allègrement dans ses veines », d’être « plus fort que l’hiver ».
Comment « quelques centilitres d’eau » glacée – un pauvre trou d’eau caché sous la pellicule de glace – défont cette maîtrise illusoire et laissent l’homme irrémédiablement vaincu : c’est ce que décrit Construire un feu, cette nouvelle de Jack London dont les éditions Libertalia publient une nouvelle traduction accompagnée de la ligne massive des illustrations de Tanxxx. La publication des deux versions successives du texte (1902 et 1908) laisse voir l’épure progressive du récit – la disparition de l’identité, du contexte, de l’espoir : si « Tom Vincent » s’en sort avec quelques orteils gelés, « l’homme » de la seconde version succombe à un engourdissement mortel. Et, de l’une à l’autre, l’apparition du chien redit la rupture de l’homme et de la nature, la surdité de la raison à l’instinct, et surtout l’incapacité à établir avec l’Autre (le monde, l’animal) un rapport qui ne soit pas de domination ou d’exploitation.
London sait cela, lui qui, à l’âge de 21 ans, se fit chercheur d’or au Klondike, cette rivière qui serpente entre le Canada et l’Alaska, là même où prend place cette fable tragique réduite peu à peu à l’essentiel – une fragile étincelle de vie qui, par maladresse ou malchance – à l’image de quelques allumettes tombées dans la neige – s’éteint dans l’indifférence implacable de l’hiver.
Valérie Nigdélian-Fabre
Construire un feu
Jack London
Traduit de l’anglais (états-Unis) par Philippe Mortimer
Illustrations de Tanxxx
Libertalia, 80 pages, 7 €
Domaine étranger Into the wild
janvier 2014 | Le Matricule des Anges n°149
| par
Valérie Nigdélian
Un livre
Into the wild
Par
Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°149
, janvier 2014.