Brûlot destiné à enflammer les consciences, Des hommes ordinaires montre comment une grande partie de l’intelligentsia allemande a épousé le nazisme et comment des nazis tachés de sang ont pu être recyclés dans la République fédérale allemande. Certains rétorqueront qu’il s’agit là du passé. En Allemagne, deux faits tendent à confirmer que le passé et ses idées noires continuent à ternir le présent. En janvier dernier, Euronews révélait que les députés du parti de gauche Die Linke avaient été espionnés par les services secrets allemands. Services secrets, sous la sellette quelques mois plus tôt pour ne pas avoir réussi à anticiper la dérive d’extrémistes de droite auteurs de huit crimes, dont certains racistes.
Antisémite, anti-communiste, criminel nazi, Otto Nebelung ne semblait pas voué à l’être. Issu de la bourgeoisie bavaroise, il eut les meilleurs professeurs : Heidegger, Himmler père. Qu’est-ce qui le pousse vers Hitler ? Son entourage et l’admiration qu’il éprouve pour Paul Von Damaskus, son meilleur ami : nazi brillant, infiniment cultivé. Il le suivra partout, notamment aux confins de la Norvège, sur le front russe. Cela, il le confie, quarante ans après. Il explique sereinement comment des êtres éclairés se sont comportés en brutes sanguinaires et pu accéder aux plus hautes marches de la Justice, tel l’ami Paul, devenu parangon des droits de l’Homme. Ne sauva-t-il pas la démocratie en combattant le terrorisme de la Fraction Armée Rouge ? Aidé en cela par l’Otan.
D’incessants allers-retour dans le temps, l’espace hachent la narration, mêlent références historiques, vie intime, descriptions de paysages. Kjartan Fløgstad cisèle les détails, les voix, les accents, les expressions comme s’il voulait écrire au plus près l’humain, la temporalité. Alternant les genres littéraires – réalisme, roman historique, enquête policière, fantastique, poésie, humour – il écrit ici un roman-monde, d’une beauté… boréale.
Kjartan Fløgstad, né en 1944 à Sauda (Norvège), développe un parcours singulier. Abandonne Polytechnique pour travailler à l’usine, la tristement célèbre Union Carbide (cf. Grand Manila). Rencontre avec un trublion ironique, croyant plus en la justice sociale qu’en l’humanisme et qui l’entretien terminé regagnera sa région de prédilection, « au-delà du cercle polaire, sur la péninsule de Kola où se passent la plupart des actions Des hommes ordinaires », son quatrième roman traduit en français.
Vous composez de gigantesques fresques. D’où provient ce besoin d’écrire en grand ?
J’ai grandi dans un endroit mondialisé avant la lettre. Une petite ville industrielle, où l’on traitait le manganèse pour les aciéries d’Europe, des États-Unis. Les usines de traitement étaient basées à Sauda en Norvège, les matières premières en provenance d’Afrique, d’Inde, d’Amérique du Sud, le siège social à New York, la société de façade à Toronto, la comptabilité aux Bermudes. J’ai travaillé pour la première fois dans...
Entretiens Détonant voyageur
mars 2012 | Le Matricule des Anges n°131
| par
Dominique Aussenac
Dans un roman aussi touffu que lumineux, l’écrivain norvégien Kjartan Fløgstad réveille les noirceurs d’un passé encore trop présent.
Un livre