Aimer la lecture, est-ce collectionner les livres et les entasser dans de gigantesques bibliothèques ? Thomas Wharton, né en 1964 dans le nord de l’Alberta, imagine qu’un livre, un seul pourrait avoir la valeur de tous, les résumer tous, les contenir tous. Pendant le siège de Québec en 1759, avant la prise de la ville par les Britanniques, une jeune fille et l’aide de camp de Montcalm, Bougainville, se rencontrent dans une librairie dévastée. Celle qui se révélera être Pica, du nom du caractère typographique, va raconter l’histoire du « livre infini ». En fait l’histoire de sa vie.
Son père, l’imprimeur londonien Nicolas Flood a été sollicité par l’excentrique comte Ostrov dont l’ambition est de créer un livre à l’image de son château des Balkans, un château labyrinthe où l’on se perd sans cesse parce que tout bouge, les murs, les meubles actionnés par de savants mécanismes. Passionné d’automates et d’énigmes, il demande à Flood de concevoir ce livre qui serait insaisissable parce que sans commencement ni fin. Mais Flood tombe amoureux de la fille du comte. Cela lui vaudra de séjourner sous terre pendant plus de dix ans et de ne pouvoir imprimer des livres qu’en imagination. Puis il réussira à partir avec sa fille Pica, parcourir le monde à bord d’un bateau équipé d’une imprimerie. Le « livre infini » va se constituer au cours de ce long périple, Alexandrie, Venise, la Chine, Londres… Les matériaux glanés au fil de ces étapes seront choisis avec le plus grand soin : l’encre la plus dense, le papier le plus fin, la couverture la plus solide, la colle la plus résistante. Les éléments du texte seront réunis de la même manière que les composants de l’objet livre.
Toutes les péripéties du voyage, les événements les plus invraisemblables, les rencontres de personnages tous plus fantasques les uns que les autres, vont ainsi constituer la matière du livre.
Cette construction progressive offre l’opportunité de découvrir tout le savoir du monde : cultures, mythes, légendes. L’érudition de Wharton est parfois agaçante comme si l’auteur avait voulu réaliser une sorte de prouesse littéraire. Il faut reconnaître que le XVIIIe siècle permet tous les rapprochements : l’Occident avec l’Orient, les Lumières avec la Kabbale, la technologie avec la superstition. Mais suffit-il d’opérer ces croisements pour se rapprocher de l’infini ? On peut en douter.
La magie du Jardin de papier opère à un autre niveau, beaucoup plus littéraire. Les aventures ne cessent de s’enchaîner, se répétant presque, chacune sans aucun véritable dénouement. Dès qu’un récit commence à prendre corps aussitôt un autre vient s’imbriquer et cela ne s’arrête jamais. Tous ces récits laissés en suspens suggèrent rapidement une impression d’inachèvement. Pourtant Flood les imprime soigneusement. Et le livre prend réellement corps. « Il est fait de tout ce qui nous arrive, ce que nous étions, ce que nous serons ». Et paradoxalement c’est par ces répétitions, ces vides qu’Un jardin de papier approche d’une dimension « infinie ». L’ intérêt du lecteur est happé dans un engrenage qui offre de plus en plus d’espace à son imagination, à sa rêverie. « Les livres se mettent à exister lorsque quelqu’un les rêve ». Lire Un jardin de papier, c’est donc faire l’expérience qu’un tel jardin peut « se mettre à exister » et qu’il ouvre sur de si nombreux chemins que leur nombre est proche de l’infini.
Un jardin de papier de Thomas Wharton Traduit de l’anglais (Canada) par Sophie Voillot, Panama, 375 pages, 23 €
Domaine étranger Relier les rêves
novembre 2008 | Le Matricule des Anges n°98
| par
Yves Le Gall
Relatant les aventures fabuleuses d’un imprimeur au XVIIIe siècle, l’écrivain canadien Thomas Wharton illustre le pouvoir magique des livres.
Un livre
Relier les rêves
Par
Yves Le Gall
Le Matricule des Anges n°98
, novembre 2008.