Selon toute probabilité, ceux qui ont déjà abordé aux rives de la Bastard Battle de Céline Minard savent que le livre-surprise de la rentrée ne peut-être que celui-ci. Pour peu qu’ils sachent se laisser bousculer, apprécier (toutes) les audaces et rire aux éclats. Mais après avoir lu R. (Comp’act, 2004), La Manadologie (MF, 2005) et Le Dernier Monde (Denoël, 2006), ses trois précédents livres, on sait faire tout cela. Et on y a pris goût. Avec une pointe d’impatience, on se doutait que ne s’arrêteraient pas en si bon chemin ses transgressions et ses expérimentations - qui, du reste, ne l’autorisent plus à rejoindre les fanges oiseuses de la littérature conventionnelle ou de commerce.
Répondant à la commande de la graphiste Fanette Mellier - cette dernière s’était signalée avec ses étonnantes maquettes pour La Main de singe (nouvelle série) ; en résidence à Chaumont (Haute-Marne), elle offre aujourd’hui au texte de Céline Minard une superbe édition princeps, graphique et colorée, qui vaut déjà son pesant de deniers, c’est aux fanges boueuses et grasses des guerroiements de cette bonne cité, où auraient pu s’étriper aux alentours de 1437 quelques coquillards et un ramassis de soudards commandés par un second bâtard sanguinaire et en armure, Aligot de Bourbon, qu’elle nous convie pour des ripailles langagières.
Comme dans les bons westerns-spaghetti, la chronique des combats recueillie par Denysot-le-Clerc, « dit le Hâchis, dit Spencer Five », fait rendre gorge aux vilains qui n’imaginaient guère l’existence de l’Asiate Vipère-d’une-Toise « dite la Jaunisse », une femme redoutable armée d’un sabre inouï, ni de ses amis vifs comme un alezan et forts comme une épice. C’est, il faut dire, une brillante campagne militaire, doublée d’un « Cape et épée » épatant. Mais les vertus de la bataille du Bâtard tiennent toute dans son énergie cinétique et dans la langue de haute graisse inventée par Céline Minard, qui, percutant les manières et langages du Moyen Âge et de notre époque, forge un autre ailleurs et un autre temps singuliers, assurément médusants. Cette faille dans l’espace-temps, Mont Joye ! Saint Denis !, on en sort ragaillardi. Oncques ici n’évita la Question…
Vous avez publié quatre romans, tous aussi tranchants que possible sur la production standard, notamment en terme de « projet » et, par conséquent, de nature. À quel moment, la cristallisation entre l’idée et la forme se produit-elle ?
Très en amont, je suppose, ce sont souvent des lectures, un faisceau de lectures qui font émerger à la fois une forme et un fond simultanément. Mais rien ne cristallise, justement, il s’agit toujours d’un mouvement, la forme n’est pas arrêtée d’un côté pour coller à l’idée ou aux idées, ni l’inverse, tout vient ensemble, la langue et le sujet. Comme le cercle est la trace du mouvement circulaire, il n’y a pas de véritable idée qui soit fixe. Ce sont des séries d’ajustements, de bricolages, de micro bricolages, de jeux...
Entretiens Des sabres et du sang
octobre 2008 | Le Matricule des Anges n°97
| par
Éric Dussert
Céline Minard dépasse encore une fois les bornes : son roman de chevalerie techno-médiéval aux allures de manga donne à la modernité littéraire du lustre et de la joye.
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