Sans doute le défi à relever était-il ambitieux et complexe : mener, dans un même mouvement, l’entreprise autobiographique et l’évocation d’une ville à laquelle des centaines de pages ont déjà été consacrées. Bien sûr Orhan Pamuk n’est pas le premier venu : son récent prix Nobel en est la preuve et la haine envers lui des nationalistes turcs témoigne de sa conscience toujours vigilante d’intellectuel engagé. Mais, comme dans certains de ses romans (La Vie nouvelle ou Neige), une certaine prolixité, une tendance à l’exhaustivité pour ne pas dire au bavardage fatigue notre attention, la nécessité de certaines notations nous échappe parfois. Ici, la part autobiographique, les portraits de certains membres de la famille, les aléas des entreprises commerciales du père ou de l’oncle, et même le récit de la première histoire d’amour parviennent difficilement à éveiller notre intérêt. La naissance de l’ambition littéraire vient clore, de manière un peu trop inattendue, ces centaines de pages pendant lesquelles Pamuk, enfant et adolescent, rêve d’être peintre puis architecte. Seules les peintures (que l’on trouvait déjà dans son passionnant Livre noir) d’une Istanbul grise et pluvieuse, mélancolique et nostalgique, noyée dans les brumes du Bosphore, glacée par les vents venus de Russie par la mer Noire, figée dans le souvenir d’un Empire ottoman s’éteignant dans une lente décadence irréversible, nous convainquent et nous émeuvent. Les belles photographies qui accompagnent cette description qui tranche sur les clichés habituels du « pont entre l’Orient et l’Occident » renforcent cet éloge de la ruine et de l’échec, cette méditation baudelairienne sur le destin d’une ville, fragile et tenace pourtant, en constante métamorphose douloureuse.
Istanbul Souvenirs d’une ville d’Orhan Pamuk
Traduit du turc par Savas Demirel, Valérie Gay-Aksoy et Jean-François Pérouse
Gallimard, 446 pages, 22 €
Domaine étranger Anatomie de la mélancolie
juillet 2007 | Le Matricule des Anges n°85
| par
Thierry Cecille
Un livre
Anatomie de la mélancolie
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°85
, juillet 2007.