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Domaine français La littérature ou la vie

juillet 2006 | Le Matricule des Anges n°75 | par Thierry Guichard

L’exigence de l’écriture a conduit Pierre Guyotat dans l’antichambre de la mort. « Coma » revient sur le tribut qu’un artiste radical doit payer à son œuvre.

Le 9 décembre 1981, l’artiste Pierre Guyotat est retrouvé inanimé chez lui. Le coma dans lequel il vient de sombrer est le terme d’une longue dépression. Cela fait des années que l’auteur de Tombeau pour cinq cent mille soldats prévoyait d’écrire autour de cette descente dans la nuit : « le récit qui suit, écrit-il en ouverture de Coma, je le porte en moi depuis que, sortant au Printemps 1982, d’une crise qui m’avait amené au bord de la mort, je me contraignais à reparler en mon nom personnel. »
Coma pourtant n’est pas une enquête, mais plutôt une reconstitution, par une mosaïque de scènes, écrites au présent, des mois qui précédèrent le coma. C’est, surtout, un formidable document sur l’envers de la création, lorsque celle-ci pousse ses exigences aux limites de ce qu’un homme peut endurer.
Coma est un texte impressionnant, dérangeant aussi, dans cette nudité à laquelle se livre l’homme qui nous parle. Le présent qui se joue parfois de la linéarité du temps, donne au récit une épaisseur opaque ; le lecteur n’aura pas le confort d’un fil à tirer autour de quoi tout s’agencerait et apporterait une explication rationnelle autant à la dépression qu’à la création. Le livre fait penser à ces vieilles planches anatomiques où l’on voit un écorché présenter dans sa chair rouge chaque partie de son corps. Ici, ce n’est pas tant un corps (pourtant montré souvent dans sa dégradation) qu’une « âme » qui est autopsiée.
C’est un homme hanté par les figures qu’il crée (ou qui le créent ?), obsédé par la langue qu’il se doit de forger pour elles, qui va peu à peu délaisser la vie pour la littérature : « pour traduire, dans mes fictions, ma vision du monde et y faire apparaître et parer mes figures, j’ai besoin de transformer ma langue maternelle ». Cette exigence-là, qui passe donc par une dépossession va conduire l’écrivain hors de lui, hors des actes les plus nécessaires comme, simplement, manger. D’autant plus qu’elle s’appuie sur une extraordinaire empathie : « Tant de vies individuelles, collectives, dont je suis exclu, moi qui depuis l’enfance ne peux me faire à ce fait qu’on ne peut dans le temps d’une vie humaine embrasser chacune des milliards et millions de vies humaines en cours, en cours de naissance, qui ne peux voir une fenêtre allumée sans éprouver le regret, la rage de n’être pas l’un ou l’une de ceux qui y vivent et y lampent la soupe. »
L’écriture exige tout, c’est son tribut pour être ce qu’elle se doit être : « L’œuvre est là, sous mes doigts, des voix qu’il faut que je libère de mes entrailles, (…) le débat, ancien en moi, entre œuvre et vie, explose. Depuis, ce dilemme n’a plus de force : plus j’interviens physiquement dans la langue, plus j’ai la sensation de vivre ; transformer une langue en verbe est un acte volontaire, un acte physique. Un débat entre littérature et vie, oui, peut-être, mais pas entre ce que moi j’écris et la vie ; parce que c’est la vie, ce que je fais. » Une vie poussée jusqu’à ses confins…
Guyotat, dans cette année 80, vit seul dans son camping-car, hiver comme été. Seule l’écriture le retient, tant que le corps en supporte les conséquences. L’homme s’annule dans cet acte de créateur : « Écrivant, je suis dans l’axe central de la Terre, mon existence d’humble laboureur de la langue est fichée dans cet axe, dans l’axe de ce mouvement, plus grandiose que le seul mouvement humain ». Plus loin, il précise encore l’idéal de la création : « que le créateur disparaisse au profit de sa créature, que les créatures parlent, se répondent hors de son contrôle. » Ce désir de procréation sous-tend tout le livre et rejoint, comme en contrepoint, quelques confessions sur ses rapports avec son père. Fin 1981, Guyotat s’enfonce dans l’obscurité, ne mangeant plus, avalant des comprimés de Compralgyl : « je ne souffre plus que d’une seule douleur, celle de cette langue dont je sais la beauté trop dure déjà pour moi-même, trop forte pour moi, qui me meus pourtant dedans avec science et plaisir, mais combien plus je me préférerais usant d’une langue lisible par tous dans l’immédiat (et pourtant…) ».
À ceux qui lui demandent pourquoi il se dit artiste plutôt qu’écrivain, Coma apporte une réponse terrible. Mais belle aussi.

T. G.

Coma
Pierre Guyotat
, Mercure de France, 228 pages, 19

La littérature ou la vie Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°75 , juillet 2006.
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