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Domaine étranger Je et un autre

juin 2006 | Le Matricule des Anges n°74 | par Lucie Clair

Aux confins du racisme et de ses prolongements inattendus, Frank Westerman interroge l’incapacité de l’homme à vivre face à la différence.

Dans le musée d’histoire naturelle d’un village oublié de Catalogne en 1983, Frank Westerman, étudiant en agro-technologie tropicale et la tête remplie de projets de coopération Nord-Sud, se retrouve face à face avec un Bushman empaillé, exhibé dans une cage de verre. « El Negro » fut légué en 1916 par le vétérinaire Francesco Darder, fondateur du Jardin zoologique de Barcelone et du musée, en même temps que sa collection d’animaux naturalisés. Mort circa 1830, « préparé » par les soins des frères Jules et Edouard Verreaux taxidermistes dotés d’une belle réputation de naturalistes dans le Paris de la Restauration et du Second Empire « El Negro » est le sujet-objet de curiosité local, à la fois fierté et secret de Banyoles, une présence ambiguë « il est vrai vous savez ! » précise une petite fille rieuse du village pour le touriste néerlandais plus que troublé. Vrai cet homme d’un mètre vingt, dépouillé d’une partie de ses os remplacés par du fer et du bois passé au cirage pour que sa peau attaquée par l’acide de la préparation demeure d’un noir brillant « comme s’ils avaient eu peur qu’en pâlissant, il se rapprocherait de nous », et vraie tout autant la pensée qui, présidant à la mise en œuvre de cet acte, questionne crûment « l’évolution de la pensée européenne sur le concept de race » et laisse Frank Westerman désemparé.
Presque vingt ans plus tard, « El Negro » ressurgit au détour d’une coupure de presse annonçant son retrait du musée puis ce sera son retour au Botswana pour y être enterré avec des semblants d’honneurs éphémères. Entretemps Frank Westerman a quitté sans regret le domaine de l’irrigation et de la coopération « J’étais tenté de penser que les bienfaits de l’aide ne compensaient pas ses effets corrupteurs et déstructurants » pour embrasser une carrière de journaliste. L’énigme d’ « El Negro » le saisit de nouveau : comment cet homme est-il arrivé en Europe ? Pourquoi son identité a-t-elle été effacée ? À quelle ethnie appartient-il ? Pourquoi le village catalan se mobilise-t-il contre son « rapatriement », au point de défiler lors du Carnaval affublé de costumes africains stéréotypés ? Quelles sont les motivations de l’homme qui a interpellé Kofi Annan, la presse internationale et les chancelleries pour obtenir l’inhumation d’« El Negro » ? Pour mieux cerner « ce que El Negro avait aussi à dire sur nous », mais aussi parce qu’il est traversé du souvenir des situations où il avait été « mis en question à cause de la couleur de (sa) peau », Frank Westerman offre un livre à l’image de son sujet, un alien, un objet littéraire hybride qui pourrait s’appeler roman reportage et s’apparenter au travail d’Hanna Krall ou d’Albert Londres, par l’esprit et la saveur de la plume alerte frappant par sa capacité à transmettre dans une langue forte et originale le goût du réel. On y croise Cuvier et ses examens sur la Vénus Hottentote, les théories de Darwin et leur mise à l’index par l’Espagne catholique, Mario Vargas Llosa et son tortueux chemin contre le Sentier Lumineux, les pages d’Eduardo Mendoza, V.S. Naipaul, George Orwell car dans le prolongement de son opus précédent (Les Ingénieurs de l’âme, cf. Lmda N°53), la littérature fertilise le reportage et, dans un colloque international en Afrique du Sud où une fois de plus il évalue « la signification du contact toujours crépitant entre race et culture », Antjie Krog, auteur de La Douleur des mots1, traductrice de chants Bochimans, et la poétesse Diana Ferrus.
Entrecroisant analyse journalistique et expériences personnelles telle celle qui le vit confronté au Pérou à la suspicion d’être « un karisiri, (…) un homme qui récolte de la graisse humaine » dans son travail de coopérant, Westerman montre à quel point « plus impérieux est le message » sois comme nous « , plus grande la résistance et finalement la faille » et, par son refus d’agréer aux courants de pensée dits corrects, offre un contrepoint salvateur à l’indistinction actuelle qui permet au créationnisme d’entrer dans les écoles aux États-Unis comme en Turquie.

1 Actes Sud, 2004. Livre tiré des auditions de la Commission sud-africaine Vérité et Réconciliation

El Negro et moi
Frank
Westerman
Traduit
du néerlandais
par Danielle Losman
Christian Bourgois éditeur
273 pages, 24

Je et un autre Par Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°74 , juin 2006.
LMDA PDF n°74
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