La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français La musique du temps

avril 2005 | Le Matricule des Anges n°62 | par Richard Blin

Architecte d’envoûtantes constructions sonores, tout l’art de Jean-Paul Goux réside dans sa manière de penser, de sentir et d’écrire en volutes et en cercles s’élevant au-dessus de la pâte du temps.

Ouvrir un livre de Jean-Paul Goux, c’est être immédiatement pris dans un mouvement en expansion, une coulée de langue qui va se dilatant, enveloppe le lecteur, l’enserre dans les anneaux de sa spirale enivrante. C’est une cadence, une amplitude, une musique. Un rythme, une rythmique, des vagues sous les vagues, une force qui nous dessaisit de nous-même. On s’enfonce dans une intimité, on est transporté dans une autre temporalité, on se découvre d’autres généalogies. Dès la première phrase, on n’est plus seul, mais comme soudain accordé à une voix, une respiration, une présence, un corps.
Parce que ses parents viennent de liquider un appartement qui lui est particulièrement cher, le narrateur, quatrième descendant d’une lignée d’architectes, écrit, alternativement, à deux amis, pour tenter de comprendre l’origine et la nature de ce qu’il vit comme un véritable désastre. Ce faisant « je vous écris comme si je vous parlais et comme jamais je ne pourrais vous parler », c’est autant à lui qu’à nous qu’il s’adresse. Tout un travail intérieur pour faire venir au jour ce qui le détruit, pour découvrir ce qu’il ne sait pas encore. Descente en soi, traversée du temps, exploration physique et mentale des interactions du dedans (le paysage intérieur) et du dehors (le paysage urbain de Paris), c’est toute une vie qui est passée au filtre d’une parole envoûtante. Assez vite le narrateur est amené à comprendre que ce qui le mine ne lui est pas propre, que c’est le lot de sa génération (J.-P Goux est né en 1948). Dès lors, il entreprend d’explorer la question de l’héritage, et en distingue deux types que tout oppose. Celui du vivant, qui crée des liens, fabrique des continuités, aide à vivre et sauve ; et celui de la mort qui isole, détruit et tue.
Le questionnement de l’héritage est depuis longtemps au cœur de l’œuvre de Jean-Paul Goux. Qu’il soit familial, linguistique, esthétique, littéraire, historique ou politique, il hante chacun de ses livres, et plus particulièrement la trilogie des « Champs de fouilles » que forment Les Jardins de Morgante, La Commémoration (disponibles tous les deux dans la collection « Babel » d’Actes Sud) et La Maison forte. Fidèle à cette notion de fouille ou de quête, Jean-Paul Goux ne cesse d’interroger les traces laissées par l’homme dans les paysages, les livres, les villes, les cœurs ou les esprits. Du côté du vivant, il y a les maisons, le bâti comme les immeubles laissés par les aïeux du narrateur de L’Embardée, ou l’appartement auquel son arrière-grand-père avait su donner la forme de « son rêve d’habiter ». Il y a encore l’amitié, l’admiration. « Notre admiration pour un autre esprit accroît notre capacité à comprendre et à sentir parce qu’elle nous met dans un état de grâce où toutes nos facultés sont aiguisées ».
Du côté de la mort apparaissent les figures destructrices de la mère et du père du narrateur. « Nous sommes d’un temps où la vie nous a été pourrie par ceux qui nous l’ont donnée ». « Nous étions corsetés par quelques principes généraux et mille interdits encore inconnus qui nous entouraient de leur invisible présence et qui ne nous apparaissaient qu’au moment où nous les avions transgressées sans le savoir ». Le réquisitoire est sans appel. « Tout ce que nous avons fait pour apprendre à être un peu nous-mêmes, nous l’avons fait avec le sentiment de mal faire et de faire le mal. Si l’on aimait être seul, c’est qu’on avait quelque chose à cacher ; si l’on aimait dessiner, c’est qu’on ne voulait pas travailler ; si l’on n’aimait pas lire, c’est qu’on était paresseux ; et quand on se mit à lire, alors on lisait trop ; si l’on aimait voir chez lui un petit camarade, c’est qu’on souhaitait fuir la maison, mais si l’on ne voyait personne, c’est qu’on était égoïstes ou qu’on n’était pas assez aimables pour se faire des camarades. » Des parents un « bloc indivis », une « faucheuse à deux têtes » qui n’ont produit et propagé que du doute, de la peur et de la mort, jusqu’à la liquidation de l’appartement de L’Embardée et de tout ce qu’il contenait, c’est-à-dire de tout ce qui avait été laissé pour « ceux qui viendraient après ». Un désastre puisqu’il coupe le lien vivant unissant le narrateur au passé. D’où son désespoir. « On a cru qu’on avait grandi, mais cela recommence comme dans l’enfance et on lâche tout. (…) On se réveille un matin et le monde autour de soi est tout entier glacé ». La continuité des temps n’existe plus. Désamarré, inconsolable, le narrateur entre dans la débâcle d’un hiver qui risque d’être définitif.
Roman familial, roman générationnel, roman de la déconstruction des illusions, L’Embardée révèle toute la chimie intime des causes agissantes, tout ce qui fait qu’on devient ce qu’on est. Roman du temps, de la mémoire, de la volupté d’écrire, de déployer, sur fond de basse continue, la musique de la phrase française. Ne serait-ce que pour la beauté de ce flux, pour cette façon de mêler le temps à la langue pour mieux en jouir, il faut lire L’Embardée. Vous constaterez ainsi que, comme l’amour, la grande, la très belle prose, est l’un des plus beaux défis que l’homme puisse lancer au temps qui passe.

L’Embardée
ou Les quartiers d’hiver
Jean-Paul Goux
Actes Sud
188 pages, 18

La musique du temps Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°62 , avril 2005.
LMDA PDF n°62
4,00