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Domaine étranger Terminus Maribor

avril 2005 | Le Matricule des Anges n°62 | par Lucie Clair

Témoin pudique et délicat, puissant par le fait même de sa retenue, l’écrivain slovène Drago Jancar nous entraîne dans le secret des signes de l’Histoire.

Les lieux auxquels on appartient sans même avoir pris garde de les aimer peuvent devenir des lieux d’accidents qui nous retiennent, et dans lesquels advient un lent engloutissement presque insensible. Ils évoquent alors un non-lieu, l’espace abstrait d’avant quelque chose d’encore innommé. Ce lieu est Maribor, Marburg pour les Allemands, ville dans laquelle Josef Erdman, représentant de la firme de matériel de laboratoire Stastny, de Vienne, attend, en ce premier janvier 1938, son collègue Jaroslav, qui devrait arriver de Trieste. Erdman a choisi Maribor, sans doute à cause des souvenirs distillés par ses vieux parents, de ses premiers pas dans des jardins semés de gros haricots et son insistance enfantine à vouloir saisir une boule bleue des mains d’un saint sous la nef d’une église perdue. Dans cette ville noire par le désespoir qui suinte, et sombre des peurs qu’elle abrite, Erdman attend, tente de se souvenir, arpente, s’ennuie et cherche à lier connaissance. Marjeta, versant slovène et magnifiquement condensé d’Emma Bovary, règne avec fragilité sur une petite société de notables subjuguée par les histoires d’occultisme et de magie. Elle, saurait le retenir bien mieux que l’hypothétique Jaroslav. Mais la rencontre avec Marjeta ne donnera pas plus de substance à cette quête de la matérialité des traces que l’attente de nouveau partagée avec les deux compagnons des bas-fonds, l’énigmatique Fédiatine, devin fou aux prédictions inaudibles, et Glavina, chômeur sanguin et colérique. Car c’est l’attente, l’espace du vide, de l’informé encore, qui devient l’élément révélateur du mystère fomenté, déjà en route, impalpable, dont les contours vont avaler cette Europe de l’entre-deux-guerres, de l’entre-deux territoires, Mitteleuropa aux frontières mouvantes, aux peuples déplacés, aux langues qui se chevauchent où les noms des rues ne cessent de changer d’un occupant à l’autre.
Entre visions prémonitoires et rêves éthyliques, Josef Erdman est peu à peu traversé par ces ombres, les fantômes à venir, qui s’annoncent par l’intermédiaire de brèches dans le récit. Elles laissent entrevoir les échappées du destin des uns et des autres, et imposent au narrateur la perception croissante d’un désaxement du monde, très léger, mais suffisant pour l’entraîner dans son basculement. « A un moment donné, je ne peux pas précisément déterminer si c’est en plein jour ou si c’était le soir, je fus de nouveau saisi par le sentiment étrange que ce morceau de monde glissait. En un instant, je fus dégrisé et sus que la boisson n’était pour rien dans cette sensation. Je sus que tout cela, cette auberge, et nous trois, et tout ce qui était sur la table et tous ces gens, tout cela se déplaçait vers le bas, vers le fleuve, en douceur et lentement. » L’aurore boréale celle du 25 janvier 1938 qui s’étend sur l’Europe centrale est le signe aux couleurs shakespeariennes de la terreur qui ne fera que se prolonger dans le cœur des hommes qu’elle a saisi par surprise.
On ne peut qu’être emporté par la nécessaire présence d’Erdman-Jancar à l’effondrement qui s’annonce, présence sans échappatoire, qui l’agit au-delà de toute raison si ce n’est que les forces prêtes à déferler l’agissent déjà comme témoin. Avec L’Élève de Joyce, précédent opus traduit en français, Drago Jancar nous avait confié son inégalable talent de conteur. Par la voix d’Erdman, il est l’homme présent aux souffrances en route. Dans ce roman magique et grave, d’une simplicité déconcertante, envoûtante, et aux arcanes si raffinés qu’ils peuvent passer inaperçus, il laisse toute sa place à la curiosité infinie avec laquelle il se penche vers l’espèce humaine, en profonde intelligence de son esprit et ses agissements. Et la curiosité n’est-elle pas la racine du désir ?

Aurore boréale
Drago Jancar
Traduit du slovène
par Andrée Lück Gaye
L’Esprit des péninsules
292 pages, 21

Terminus Maribor Par Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°62 , avril 2005.
LMDA PDF n°62
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