Lorsqu’il a reçu le prix Nobel de littérature en 2002, Imre Kertész travaillait sur un livre dont le titre provisoire était Felszámolás, qui signifie Liquidation. Et c’est sous ce titre que paraît aujourd’hui en français cet ouvrage, le premier achevé depuis la consécration suédoise. Jusque là Kertész, né à Budapest en 1929, était connu pour son roman Être sans destin paru aux éditions Actes Sud, comme l’ensemble de son œuvre traduite de façon magistrale en français. Ce livre fortement autobiographique narrait la déportation à Auschwitz-Birkenau d’un garçon juif hongrois de quinze ans. L’expérience de l’horreur concentrationnaire vécue par un être à peine sorti de l’enfance et de fait incapable d’en analyser les rouages, d’énoncer la condamnation morale attendue. Il en résultait un texte bouleversant éclairant d’une lumière singulière et noire l’entreprise génocidaire. Dans la Hongrie communiste des années soixante-dix, cette vision insolite, une écriture aux antipodes de l’académisme, le ton volontiers ironique de Kertész ont rencontré l’hostilité : l’ouvrage trouvera un éditeur après avoir été refusé mais il mettra longtemps à sortir de l’anonymat. L’auteur traverse alors une crise personnelle, et doit lutter pour retrouver ses capacités créatrices : ce sont quelques uns des thèmes du Refus, autre ouvrage majeur de Kertész, deuxième volet d’un triptyque qui se clôt avec Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas, un livre qui énonce le renoncement à la paternité, le refus de faire naître un enfant dans un monde qui a engendré Auschwitz.
L’enfance, les enfants sont les grands absents des livres d’Imre Kertész, irradiés par l’astre noir qu’est le camp de la mort. C’est à Auschwitz que vient se fracasser la jeunesse de Gyorgy Köves, le double de l’auteur, détruisant à jamais en lui toute possibilité d’innocence. Celui qui a survécu à cette expérience revient amputé de sa part la plus vive et porte le fardeau d’un savoir impossible. De même, il y aura désormais pour le monde des hommes, pour l’espèce humaine un avant et un après Auschwitz. Kaddish est la prière dite pour les morts dans le rituel juif : Imre Kertész la prononce à sa manière au milieu de ce qui reste un champ de ruines des valeurs humaines, où se profile encore le spectre des miradors et des cheminées du camp. Dans Le Chercheur de traces, paru en 2003, il était question d’une enquête menée par un mystérieux « envoyé » pour exhumer les vestiges d’une catastrophe qu’on a voulu occulter. L’auteur avait ainsi composé un récit allégorique contre l’amnésie et la dénaturation de la mémoire par l’industrie du divertissement.
Avec Liquidation, son nouveau récit au titre et à la tonalité crépusculaires, à l’écriture toujours exigeante Kertész va plus loin encore dans la dénonciation implacable des illusions : sentiments, liens sociaux, création artistique, rien n’est authentique aux yeux de B., l’un des deux personnages centraux de ce livre. B. est traducteur et écrivain. Un...
Événement & Grand Fonds Naître sans destin
Imre Kertész réaffirme sa conviction qu’Auschwitz n’est pas qu’un moment de l’Histoire qui peut être dépassé : avec lui une certaine idée du Mal s’est enracinée dans les consciences, contaminant pour longtemps les valeurs fondamentales de l’Occident.