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Essais Tous transis

mai 2004 | Le Matricule des Anges n°53 | par Gilles Magniont

Alain Badiou et Jean-Claude Montel dévoilent les peurs contemporaines : la figure du philosophe flamboie, celle de l’écrivain s’estompe.

Portrait de l’écrivain en IUFM

Circonstances 2

Irak, foulard, Allemagne/France
Editions Lignes/Léo Scheer

Pour écrire des livres, est-il encore nécessaire d’avoir deux trois idées sur le monde ? La littérature paraît plutôt dans la lune, ou cloîtrée en ses « résidences » ; quant à la philosophie, elle court le cacheton d’entreprises en ministères. Rares sont ceux qui se saisissent avec bonheur de l’actualité. C’est ce que font Jean-Claude Montel et Alain Badiou dans leurs essais respectifs : on se permettra de les faire se rejoindre ici, en observant combien le contenu de leur réflexion n’est pas sans parenté, en même temps que la manière diffère du tout au tout.
« À quoi peut servir un écrivain à l’école et plus particulièrement dans un Institut de Formation des Maîtres ? Réponse : à rien. » En quatrième de couverture, ce ton tranché laisse augurer des visées polémiques : or il apparaît vite que le Portrait de l’écrivain en IUFM avance à coup de tâtonnements, dans une prose qui ne s’autorise aucun effet. Tout part d’un atelier d’écriture à l’I.U.F.M. de Versailles. Montel, en position d’« écrivain-animateur », y essuie l’indifférence « vaguement hostile » des professeurs stagiaires. Bide indiscutable, malaise persistant qui lui fait douter de son rôle : il entreprend alors d’explorer l’École. En coulisse d’abord depuis les « tristes carafes d’eau chlorée » des cantines jusqu’aux grands-messes pédagogiques où paradent les officiels puis sur le devant de la scène, dans quelques classes de primaire ou de collège. Il s’interroge beaucoup, ne s’autorise d’aucune compétence particulière, fait toujours montre de mesure et de compréhension. N’empêche que le bilan est terrible : « Je n’ai jamais vu enseigner le français ». Des cours où l’on inculque la grammaire, les techniques d’écriture ou les genres, oui, il y en a ; mais jamais d’appropriation de la langue, « dans l’intériorité silencieuse de la conscience de soi ». Car nombre des enfants de la banlieue parisienne ne se doutent même pas que c’est leur langue qui est enseignée. Alors, lorsque la classe ou la banlieue vire à l’atroce épreuve de forces, on se borne à « agiter le chiffon noir de la barbarie » là où il faudrait réduire les distances. « Pourquoi continue-t-on de parler de saint Martin à un petit Malien en échec, pourquoi ne rencontre-t-on pas ses parents, pourquoi ne lance-t-on pas à l’école des programmes d’alphabétisation pour toutes ces familles ignorantes des réalités et des exigences de l’école ? » L’écrivain n’a pas oublié son public récalcitrant : comment les stagiaires auraient-elles eu le cœur à l’écouter disserter sur la littérature contemporaine, elles qui, « nouées » à leur angoisse, n’aspirent qu’à survivre dans ce terrain social miné…
Une angoisse qui est devenue un mode de vie auquel l’idéologie dominante nous a insidieusement habitués. En témoigne la « Loi foulardière » dont Circonstances, 2, recueil d’articles et conférences, expose les fondements. Selon Badiou, cette loi n’exprime qu’une chose, la peur. « Les Occidentaux en général, les Français en particulier, ne sont plus qu’un tas frissonnant de peureux. De quoi ont-ils peur ? Des barbares, comme toujours. Ceux de l’intérieur, les « jeunes des banlieues » ; ceux de l’extérieur, les « terroristes islamistes » ». Et puis ceux qui sont « un peu moins vieux qu’eux. Par exemple, une demoiselle entêtée. » Légiférer sur les foulards, c’est vouloir faire baisser des têtes et soumettre des intelligences : la loi ne porte pas sur la coiffure elle-même mais sur ce qu’il y a dessous. Le philosophe montre combien ne pas reconnaître cette évidence revient à tomber dans d’absurdes contradictions. Ou la raison d’être de la loi est généreusement féministe : dans ce cas, pourquoi sanctionner, en les excluant, celles qui seraient déjà opprimées par un père ou un grand-frère ? Ou l’argument est laïc : mais alors, comment, au nom de cette libre laïcité, prétendre librement arracher le foulard à celles qui le portent librement ?
De quelque façon qu’on s’y prenne, on ne peut trouver de circonstances rationnelles à cette loi, sauf à admettre que la rationalité qui s’y exprime n’est pas celle d’une démocratie éclairée mais celle du pragmatisme marchand, lequel s’impose avec un autoritarisme croissant : « la loi sur le foulard est une loi capitaliste pure. (…) Une fille doit montrer ce qu’elle a à vendre. Elle doit exposer sa marchandise (…). Le contrôle commercial est plus constant, plus massif que n’a jamais pu l’être le contrôle patriarcal. » Derrière l’interdiction de cacher religieusement une partie du corps ou l’obligation laïque de dénuder, c’est selon se profile la silhouette d’un « Moloch de la marchandise », d’une industrie qui, faisant ses choux gras des produits et vêtements allégés, ne tolère de femme émancipée que la « femme-sandwich d’un trust ». La justification laïco-républicaine relève en fin de compte de la même casuistique que ces « sublimes ornements moraux » par lesquels les Nouveaux Courtisans légitiment pieusement les « divers forfaits de la puissance américaine » : puissance mafieuse, qui impose comme seules légales ses méthodes de vendetta et de pillage organisé (on lira avec intérêt les développements consacrés à l’agression américaine de l’Irak), puissance auprès de laquelle les représentants du peuple français, avec leurs lois contre les foulards, font figure de « tout petits bandits », comme l’observe malicieusement Badiou. C’est peut-être, au fond, la jubilation qui caractérise le mieux sa prose : plaisir de mêler les références et les styles, de Mallarmé à Lénine, de Molière à Mao, joie de s’afficher en toute radicalité. Certes, emporté par sa maestria, l’universitaire dit parfois un peu complaisamment tout et n’importe quoi : on oubliera ainsi tel manifeste inutile défendant un art baptisé dans l’emballement affirmationnisme, tel discours oiseux prononcé devant un parterre d’Argentins qu’on imagine sans mal médusés sur « la nécessité de la fusion entre l’Allemagne et la France ». Mais pour le reste, en ces pages, la fusion du style et de la pensée se fait plutôt bien.

Portrait de l’écrivain en IUFM, de Jean-Claude Montel
La Dispute, 122 pages, 11

Circonstances, 2, de Alain Badiou
Lignes/Léo Scheer, 125 pages, 13

Tous transis Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°53 , mai 2004.
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