Qui se souvient aujourd’hui en France d’Henver Hoxha, l’ex-petit père du peuple albanais ? Plus grand monde, sauf peut-être encore Ornella Vorpsi. Elle a fui le pays où elle est née, en 1968, au sein même de sa capitale, au doux nom ambigu de Tirana et elle nous le restitue dans un premier roman kaléidoscopique, presqu’un recueil de nouvelles. L’Albanie, le communisme vus à hauteur de fillette, à hauteur d’Elona-Ornela-Eva, triple et unique héroïne qui peu à peu se transforme dans la peur de la putinerie, le sort réservé aux femmes belles et émancipées. Faut dire que sa mère s’avère être une superbe créature, que son père végète en prison et que le communisme albanais s’est greffé sans trop d’émancipation sur une société patriarcale où les hommes apparaissent comme de sacrés et hypocrites obsédés et les femmes au pouvoir, moches, malheureuses, moustachues et soumises. Difficile dans ces conditions d’être la fille d’un traître, de poursuivre des études et de s’intéresser à l’art. Cet art que même le régime pudibond voile sans explication, La Liberté guidant le peuple de Delacroix apparaissant la gorge « couverte d’un bout d’étoffe blanche ». Tout cela pourrait être narré sous la forme d’une tragédie, mais la candeur, le fabuleux imaginaire de l’enfance, sa furieuse et farouche vitalité en font un implacable et irrésistible réquisitoire tragi-comique de la bêtise humaine, de son absolutisme, du machisme et de l’endoctrinement.
« La nuit sera toujours la nuit, pour autant que le communisme ou le capitalisme ne trouvent pas le moyen de l’abolir. »
Le Pays ou l’on ne meurt jamais de Ornella Vorpsi
Traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli
Actes Sud, 154 pages, 15 €
Domaine étranger Une enfance à Tirana
mars 2004 | Le Matricule des Anges n°51
| par
Dominique Aussenac
Un livre
Une enfance à Tirana
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°51
, mars 2004.