C’est une peau tannée, épinglée sur un mur, dissimulée par une double cloison, à l’abri des regards. Cette peau est humaine, découpée avec art. C’était justement le métier de l’assassin, le vieux Tulaine, tanneur de père en fils, gardien du secret de fabrication et d’un autre secret, familial, un inceste qui provoque une dégénérescence génétique chez les Tulaine. Celui qui est mort transformé en descente de mur enquêtait justement sur la question.
La profondeur de la peau dans Guerres froides est celle du roman familial qui lègue ses affrontements et ses misères ; celle de la maladie génétique qui frappe au hasard les héritiers de la tannerie ; celle de l’affrontement politique des années de guerre froide, quand les rêveurs du communisme deviennent aveugles car ils ne peuvent croire à ce que l’espoir est devenu et quand le capitalisme devient une valeur morale pour conquérir le monde ; celle enfin de l’impossible oubli des crimes locaux et globaux dans la conscience de ceux qui osent les regarder.
La narratrice de ce roman est l’un de ces êtres, hantés par les voix du passé, qui paient dans leur chair les crimes des autres. Comme si le mal dispersé dans la famille Tulaine durant plusieurs générations venait avec son accord s’abattre sur elle. Devenant aveugle par héritage génétique, elle ose voir et l’on retrouve la même stupeur du personnage face à la violence et au crime que dans d’autres récits de Virginie Lou. Même si l’on ne reconnaît pas toujours ici dans l’écriture la tension et l’épure de Éloge de la lumière au temps des dinosaures, ce récit dit avec habileté les dangers du dévoilement et les correspondances meurtrières qui hantent nos esprits.
Guerres froides
Virginie Lou
Actes Sud
184 pages, 17 €
Domaine français La peau en héritage
février 2004 | Le Matricule des Anges n°50
| par
Christophe Dabitch
Un livre
La peau en héritage
Par
Christophe Dabitch
Le Matricule des Anges n°50
, février 2004.