On tente aujourd’hui de cerner quelles valeurs communes, spirituelles et sociales, ont construit et peuvent encore « constituer » l’Europe. Pourrait-on, pour s’en approcher, en appeler à des écrivains européens ? Parmi ceux, rares, qui nous viennent à l’esprit (Valéry, Gide, Zweig…) Thomas Mann paraît s’imposer. Ce gros ouvrage, érudit et riche, de Pascal Dethurens, professeur à l’université de Strasbourg, parcourt en tous sens son trajet idéologique et esthétique, plein d’aléas, de détours et d’hésitations. Qu’est-ce que l’Europe ? Et faut-il y croire ? Sa réponse va varier, de la Première à la Seconde Guerre mondiale, du déni au défi. La position de départ est claire : il faut choisir la « Kultur » (germanité, éthique et profondeur) contre la « Zivilisation » (latinité, esthétisme et forme). Mais ces positions qu’affirment les violentes Considérations d’un apolitique (1918) sont parallèlement contredites, ou plutôt surpassées (c’est ce mouvement de continuelle et complexe synthèse dialectique que l’auteur décrypte avec finesse) par l’œuvre romanesque : La Montagne magique (1924). En elle, comme ensuite dans la tétralogie biblique autour de Joseph et ses frères (1933-1943), puis dans le Docteur Faustus (1947), Mann fait le constat parallèle (problématique et douloureux) du crépuscule de l’Europe, face à la barbarie fasciste, et de la nécessité de lutter pour elle : l’Europe est devenue synonyme de Littérature, et celle-ci d’Humanisme. Contre le Nihilisme, l’Humanisme doit donc se faire « militant », allier « beauté et sens » nul doute que ce mot d’ordre soit encore d’actualité.
Thomas Mann et le crépuscule du sens
de Pascal Dethurens Éditions Georg (1, rue du Dragon 75006 Paris), 544 pages, 30 €
Essais Thomas Mann et l’Europe
janvier 2004 | Le Matricule des Anges n°49
Un livre
Thomas Mann et l’Europe
Le Matricule des Anges n°49
, janvier 2004.