Le regretté Sergio Atzeni (1952-1995) appartenait à cette lignée de conteurs alchimistes, de Péter Esterházy à Richard Brautigan, capables de changer le plomb de n’importe quelle situation banale en or textuel. Question de style et question de climat local -quelque chose dans l’air en somme : « Celui qui le respire ne vieillit pas, c’est bien connu des Cagliaritains et des non rares étrangers qui ayant humé les parfums de la mer de mai à l’aube, à midi, l’après-midi et le soir, n’ont plus quitté la ville, s’inventant mille métiers pour subsister et trouvant femmes ou maris d’une rare beauté. » Si l’atmosphère paraît plus légère en Sardaigne, les mots y semblent au contraire plus lourds de sens, surtout dans la bouche des grandes gueules du petit peuple insulaire, tous ces frères aînés des gamines dessalées de Bellas Mariposas, précédent livre de l’auteur traduit en français (Zulma, 2002). Bouffonneries et tirades scatologiques rythment mésaventures et pérégrinations de Ruggero le pedzouille, « né à Cagliari un jour de pluie estivale sous le signe de la Vierge ». De l’amour ros(s)e au roman noir, notre anti-héros, « trente-cinq ans mal dépensés, sans l’ombre d’un métier en main », en voit de toutes les couleurs sans que Sergio Atzeni ne consente à sortir des frontières de l’état de grâce littéraire qui était sa seconde patrie. Les démêlés de Ruggero avec son chef de bureau arracheraient un sourire à Alain Juppé lui-même, certaines de ses répliques feraient pâlir de jalousie jusqu’aux plus désabusés des héros de Chandler (« Le mieux, c’est de continuer à se bercer d’espoir devant la tombe. »), et l’évocation de ses amours vous réveillerait un mort : « La lèvre inférieure de Monica, proéminente, charnue, la bouche en apparence entrouverte, la fixité des yeux (ils disent comme une attente, un appel), l’avidité évoquée par le nez de faucon lui donnent l’expression de quelqu’un qui a un trésor entre les jambes, déjà pris… et à prendre avec envie. »
Le Cinquième Pas est l’adieu
Sergio Atzeni
Traduit de l’italien par Marc Porcu
La Fosse aux ours
224 pages 17 €
Domaine étranger L’adieu aux Sardes
novembre 2002 | Le Matricule des Anges n°41
| par
Eric Naulleau
Un livre
L’adieu aux Sardes
Par
Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°41
, novembre 2002.