On reconnaît entre autres une œuvre à ce que chaque nouveau livre semble dans un même élan résumer et dépasser tous ceux qui l’ont précédé. Nicole Caligaris fait œuvre. « Toujours le même cirque… » se réjouit tout d’abord le lecteur qui entre sous le chapiteau du Barnum des ombres. Numéro déjà admiré -mais ici exécuté sans filet à bagages par sept voyageurs prisonniers de la salle d’attente d’un aéroport- du voyage immobile, de l’impossible envol. Clou des spectacles précédents, depuis le front fuyant d’une drôle de guerre dans La Scie patriotique jusqu’au départ à reculons vers la côte atlantique du Maroc dans Tacomba en passant par le problématique exil des Samothraces (Mercure de France en 1997 pour le premier et en 2000 pour les deux autres). Mais chacun des crucifiés se lance à son tour dans une histoire pleine de trous d’air, de trous d’ombre plus encore, et le livre décolle vers des cieux successifs aux couleurs d’autant plus changeantes que le fond des tableaux en (r)appelle à l’œuvre de différents plasticiens.
Fascinantes fables nocturnes portées par une écriture unique, parfois d’un Michaux qui se serait lancé dans le roman noir ou le fantastique, oserait-on, si l’on ne craignait d’étouffer l’auteur sous le poids des références. Mention spéciale à la partie intitulée « Le Twist », récit à double fond d’un échange d’identités sous l’influence revendiquée de Boltanski, avant que Barnum des ombres, pourtant parvenu à d’estimables altitudes, ne reparte à la verticale pour crever tous les nuages (la piste aux étoiles ?). Nicole Caligaris empoigne alors un stylo en forme de voiture-balai, qui la mène de Villejuif jusqu’à Orly Sud, et collecte en chemin de menus objets et de petits pas d’homme, « ceux qu’amassent en roulant les siècles boule de neige » disait Breton. Un individu secoue ses chaînes, prend la tangente, déjoue la fatalité sociale, redevient « propriétaire du mouvement », dit « Merde à tous, captifs par qui l’ordre règne », donne des coups de pied dans le ventre du vingtième siècle finissant pour venir au monde, fait la nique aux poissons qui nagent sur les fonds d’écran des ordinateurs -ce n’est pas parce que ces bestioles sont à l’origine de notre espèce qu’elles doivent avoir le mot de la fin.
« Le jour s’avance », il est temps de partir, il est temps de lire Barnum des ombres. Bon voyage et bienvenus dans le vingt et unième siècle.
Votre livre s’ouvre sur une citation de Pascal Quignard : « Nous sommes les usagers de motifs narratifs » et se clôt sur un appendice où vous expliquez notamment : « le Barnum des ombres est une façon de visiter des ’’motifs narratifs’’ ». Qu’entendez-vous plus précisément par cette expression ?
Je me suis servie de « motifs narratifs » empruntés soit à des artistes comme Christian Boltanski, Sophie Calle, Anna et Bernhard Blume ou Orlan, soit à un fond mythique comme la légende sioux de la Femme biche, que l’on connaît en France sous le nom de la Dame blanche. Il...
Entretiens Exposé des motifs
septembre 2002 | Le Matricule des Anges n°40
| par
Eric Naulleau
Sept personnages en quête de hauteur se retrouvent cloués au sol, mais toutes les pistes restent ouvertes dans le Barnum des ombres. Le quatrième roman de Nicole Caligaris libère de fascinantes fables nocturnes.
Un auteur
Un livre