C’est un enfant aux semelles de vent qui débarque un jour dans la classe d’Omar. Alexandre semble la poésie incarnée, et s’il lit la biographie de Rimbaud, c’est comme pour y trouver un miroir. L’adolescent ne s’habille pas comme les autres, il promène sur le monde un regard étrange, comme détaché. Omar s’éprend rapidement de cet envoyé du ciel, polyglotte et sensible. En quête d’un père de substitution, parce que le sien est toujours en voyage, Omar découvre une énigme vivante et ce que ça fait au cœur d’un jeune garçon de tomber amoureux. « L’étrangeté d’Alexandre était telle que je ne pouvais pas l’accepter, l’admettre une fois pour toutes ». Le roman joue sur ce rapport à l’autre, entre fascination et inquiétude. Une façon aussi d’interroger les failles de sa propre identité. Omar se masque la nature du sentiment qu’il éprouve pour son nouvel ami, il essaie de comprendre l’énigme qu’est Alexandre mais « qui pourrait se vanter de comprendre l’autre quand on se comprend si mal soi-même ? » L’aveu sera tardif.
Le temps de l’écriture n’est pas celui de l’action. Nous lisons le journal qu’Omar adresse à Assia, quelques jours après les faits qu’on va découvrir. Omar vouvoie Assia, et ce vouvoiement est d’une réelle beauté. Elle a élevé Alexandre, mais elle n’est pas sa mère. Peintre, elle a dû donner à l’adolescent cette sensibilité qui bouleverse Omar. Et puisqu’elle peint, elle laisse le silence en friches pour toute réponse aux questions d’Omar. Il lui écrit donc, jour après jour, pour remonter le ressort de sa mémoire et nous amener peu à peu au dénouement tragique de cette histoire. Il raconte sa rencontre avec Alexandre, leur rituel du chocolat chaud dans un café de la ville. Sa jalousie douloureuse quand Alexandre lui préfère la compagnie d’une jeune fille. Il lui raconte le choc : la découverte du père d’Alexandre, l’ancien amant d’Assia. Un père militaire, pense-t-il d’abord. Violent et autoritaire. Qui tout de suite le traite de « lopette ». On voit le genre de père qui veut que son fils soit un homme, un vrai. On voit ça, mais on n’imagine pas jusqu’où ça peut aller.
Ce père non plus n’est pas souvent là, occupé ailleurs, il débarque parfois comme un coup de tonnerre. Omar va espionner son ami pour dénouer ce qui se joue de terrible dans la relation qu’Alexandre entretient avec son géniteur, entre haine et désir d’être aimé.
Virginie Lou a réussi là une merveille de roman : la voix d’Omar est prégnante d’avoir traversé, en peu de jours, ce qui lui restait de l’enfance. L’ambiguïté de ses sentiments pour Alexandre n’est jamais alourdie par des effets et la romancière parvient également à donner à l’aventure que le jeune garçon va vivre des accents inédits. Publié une première fois il y a deux ans seulement, ce roman pour adolescents inaugure de belle manière la nouvelle collection « Scripto » qui compte cinq autres titres. On remarquera juste que la quatrième de couverture évoque « une amitié soudaine et bouleversante » entre Omar et Alexandre. Un euphémisme frileux que le livre et ses lecteurs ne méritaient pas.
Un papillon dans la peau
Virginie Lou
Gallimard (Scripto)
138 pages, 8 €
Jeunesse Un garçon dans la peau
septembre 2002 | Le Matricule des Anges n°40
| par
Thierry Guichard
C’est avec une délicatesse musicale que Virginie Lou relate la passion amoureuse d’un ado pour un garçon météore. Une initiation douloureuse dans la violence du monde.
Un livre
Un garçon dans la peau
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°40
, septembre 2002.