La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine étranger Un homme déplacé

juin 2002 | Le Matricule des Anges n°39 | par Thierry Cecille

Intellectuel palestinien exilé aux États-Unis, Edward W. Said nous propose dans ses mémoires à la fois la recréation d’un monde disparu et la complexe quête d’une identité.

La désastreuse actualité dans les territoires palestiniens nous fige dans la stupéfaction et l’angoisse. Nous sommes en quête de voix sûres -Edward W. Said est de celles-là. Alors que sa réflexion s’est portée, dans un livre fondateur, sur L’Orientalisme (Seuil, 1980) ou, plus récemment, sur les rapports périlleux entre Culture et impérialisme (Fayard, 2000), il n’a cessé, parallèlement, de prendre position, condamnant toute forme de terrorisme, partisan de la reconnaissance officielle par l’OLP de l’État d’Israël, hostile aux accords d’Oslo et critique envers la faiblesse d’Arafat. Cette intransigeance et cette lucidité lui viendraient en partie de la position paradoxale qui est la sienne, de cette double postulation qui l’anime : l’enfant palestinien élevé en Égypte est devenu un universitaire américain, un être « à contre-voie ».
Au premier plan, ici, la symptomatologie d’un cercle familial, où se noue, plus encore que dans l’hérédité, le sort de chacun de nous. La Nakba de 1948, l’exil des Palestiniens ou l’arrivée de Nasser au pouvoir, tout cela n’est qu’un horizon indistinct, un bruit de fond, parfois inquiétant, pour l’enfant puis l’adolescent qui se débat alors pour se construire une identité. En effet, « toutes les familles inventent leurs parents et leurs enfants, donnant à chacun une histoire, un caractère, un destin et même un langage » et il y aura donc, en lui, d’un côté, « Edwaad », l’enfant arabe qu’il aurait pu être, et que seul l’âge adulte tentera de retrouver, et, de l’autre, celui qu’on le force à être, « Edward » (les guillemets sont employés par Said lui-même, pour ainsi se mettre à distance). Au dessus d’« Edward », le père : quittant la Palestine en 1911, il va revenir des États-Unis avec la citoyenneté américaine et entreprendre, à Jérusalem puis au Caire, une carrière commerciale modèle. Père taciturne et despotique, il veille sur la scolarité d’« Edward », mais aussi sur les activités qui auraient pu être libres -les sports, la musique- et bien entendu sur le corps : la répression de la masturbation nous rapproche bien plus de la Vienne de Freud que d’une permissivité orientale qui n’est sans doute que fantasme orientaliste. À côté, à la fois présente et en retrait, la mère compose une figure énigmatique, plus déséquilibrante encore, peut-être, que celle du père : les sables mouvants de l’alternance entre une sorte de fanatisme envers ce fils unique et un désintérêt teinté de mépris, avec la cruauté d’un « tu me déçois » implicite et toujours menaçant.
À 21 ans « Edward » doit encore obéir à ce père et porter un corset pour se tenir droit, ou bien endosser la signature de bons de commande illégaux -et il sera donc banni du Caire pendant quinze ans, alors que c’était là, dira-t-il, la seule ville où il pût se sentir, un peu, chez lui. C’est en effet l’autre versant, l’autre richesse de cette oeuvre : résurrection, dans sa mémoire et sous nos yeux, du Caire de cette bourgeoisie colonialiste, d’européens ou d’exilés libanais ou palestiniens, nous nous retrouvons là en terrain connu, ente les poèmes de Cavafy et le Quatuor d’Alexandrie de Durrell.
Peu à peu, le seul territoire que Said s’inventera sera donc, analyse-t-il, intellectuel : à Princeton puis à Harvard, où il sera pourtant encore aux yeux des autres, déplacé, il aura le sentiment d’avoir trouvé une voie, au moins provisoire : « Jusqu’en 1967, je parvins à dissocier mentalement le soutien apporté par les États-Unis à Israël et mon statut d’Américain faisant carrière dans ce pays où j’avais des amis et des collègues juifs ».
Les nouveaux drames rendront ensuite cette dissociation douloureuse -mais c’est sans doute cette douleur qui aujourd’hui encore tient Edward W. Said en éveil -et puis, avouera-t-il dans les dernières pages, « aujourd’hui il ne me paraît pas si crucial ni si souhaitable d’être « bien » à sa place ».

À contre-voie
Edward W. Said
Traduit de l’anglais
par Brigitte Caland
Le Serpent à plumes
430 pages, 21 euros

Un homme déplacé Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°39 , juin 2002.
LMDA PDF n°39
4,00