Dans la conversation courante, « c’est bibi » est une manière de dire « c’est moi ». Bibi correspondrait à un « je » dont on fait peu cas, celui sur qui ça tombe, fatalement. La fatalité est, depuis que Charles Pennequin publie des livres, un thème très récurrent à son univers.
« Je suis la preuve vivante que je ne vis pas. » Ainsi commence bibi. Non pas contre tout espoir, car si ce livre s’apparente d’abord à la dénonciation du grand malentendu existentiel, sa vigueur est celle d’un cri.
Dans le sillage de Dedans (Al Dante,1999), qui disait avec la même violence rentrée, la relation impossible entre « je » et le monde, bibi va encore plus loin, désignant aussi l’impossibilité d’être soi, c’est-à-dire ce quelqu’un qu’on croyait pouvoir être. Le livre se présente comme un pavé de texte surgi d’une masse de paroles proliférantes et schizophrènes. Enchaînant avec fureur des courtes phrases sur cent quarante pages serrées, une voix intérieure, entêtée et irrésistible, attire le lecteur dans les arcanes d’un monologue sans fin.
« Et que ça continue. Et qu’on tienne bon. Jusqu’à la saint-glinglin. » Ce sont des phrases qui questionnent le réel, le font vaciller et stigmatisent ses incohérences en s’appuyant sur ses caractéristiques sociales (monde du travail, famille, médias, discours conventionnels). Bibi (je, moi, on), qui n’est autre que l’incarnation d’une prise de conscience aiguë et malheureuse (« Voilà où j’en serai. J’en serai à ne pas en être. Et à nommer tout ça. Le tout où je ne suis pas. J’appellerai ça bibi »), révèle la vacuité de notre existence individuelle ainsi que notre négligence. « On est de ceux qui ne savent pas. Qui ne savent rien de leur vie. Ceux qui ne retournent jamais dedans. Pour voir tout le vivant. Le vrai. Celui qui pue vraiment. Ils préfèrent attendre qu’on les branle. Que la télé vienne les prendre. Qu’elle vienne les allumer dedans. Juste avant qu’ils s’éteignent. »
Bibi, comme précédemment Dedans, mais dans un style mieux maîtrisé, est une bouteille à la mer qui décrit sans compassion l’état de notre naufrage social et de notre désoeuvrement. On ne ressort pas indemne de la lecture d’un texte aussi contemporain.
Bibi
Charles Pennequin
P.O.L
139 pages, 12 € (78,71 FF)
Domaine français Bibi en berne
mars 2002 | Le Matricule des Anges n°38
| par
Marie-Laure Picot
Un livre
Bibi en berne
Par
Marie-Laure Picot
Le Matricule des Anges n°38
, mars 2002.