Le pétulant Henri-Frédéric Blanc promeut à l’Académie française un Diable moqueur. Un roman jubilatoire sur les médiocrités de la littérature française contemporaine.
« Onctueuses et toujours désirables mesdames mes consoeurs, séduisants et bien membrés messieurs mes confrères, chers académiciens, excellentissimes esprits, joyaux de la Patrie, étoiles de la Pensée, perles de la française littérature, recevez mon plus chaud bonjour. » C’est sur ces mots courtois que s’ouvre le premier Discours de réception à l’Académie française qui ne sera pas publié par Le Monde comme le veut la tradition. Son auteur n’est autre que le Dieu des mouches, Satan, Belzébuth ou l’un de ses démons, chouchou et successeur du Vieux Lucifer, qui pour conquérir le monde a su trouver le moyen imparable : la Littérature. L’idée paraîtra d’autant plus saugrenue qu’on nous rabat les pavillons auriculaires de « pronostications » funestes quant au devenir du livre. Henri-Frédéric Blanc, l’auteur de ce sulfureux, tonitruant et néanmoins cocasse apocryphe, doit en savoir quelque chose puisqu’il publie depuis 1989 romans, poèmes et nouvelles chez différents éditeurs qui n’auront pas manqué de lui tenir à peu près ce langage : « mon pauvre, la littérature, ça eut payé… » (air connu). N’empêche, depuis la publication du Lapin exterminateur (Titanic 1994 ; Serpent à plumes 1999), Blanc a des atouts séduisants, une réputation de farceur et une connaissance du monde littéraire qui lui avait déjà permis d’en moquer les hypocrisies dans Nuit gravement au salut (Actes Sud, 1995). Auteur d’une Démonomanie (Actes sud 1993 ; Pocket, 1995), il opère donc en terrain connu lorsqu’il impose chez les décatis Immortels un démon roucoulant d’aise et redoublant de mauvaisetés sournoises en rendant le rituel hommage à l’académicien disparu, Gervais Raptor ou « l’art personnifié. L’art d’être normal. Mais sans excès. Dans la normalité, beaucoup ont tendance à en rajouter », avant de le crucifier en détournant l’épitaphe du métromane Alexis Piron : « Gervais Raptor fut tout mais ne fut rien, sauf académicien ».
Le remplaçant persifleur se remémore ensuite le petit démon laborieux qu’il fut, « chez les diables on grimpe au mérite, ce n’est pas comme à la télévision ou à l’Université », avant d’exposer sa stratégie de conquête du pouvoir littéraire : « Je fis passer la pauvreté de mon vocabulaire pour de la sobriété,(…) mon absence d’humour pour de la hauteur de vues, ma sécheresse pour de la rigueur, mon manque de souffle pour de la retenue, mes répétitions pour de la musicalité, mon débraillé pour de la spontanéité, mon indigence technique pour de la modernité. » Toute ressemblance avec des écrivains existants mérite, semble-t-il, d’être considérée. « Je commençais à fréquenter du beau monde, ce ramassis de désabusés qui ne cessent d’abuser de tout. L’enfoncement dans la turpitude est si progressif que beaucoup qui barbotent dans le purin ne sentent plus l’odeur de la merde. Ces gens-là se voient propres, même lorsqu’ils vont manger dans un grand restaurant des beignets d’oreilles de fillettes du tiers-monde. »
H.-F. Blanc manie le sarcasme avec un brio magistral et semble incapable de retenir un coup de bâton lorsqu’il peut le donner. « Vivedia sacréfion ». Avec un bel entrain, il va à la manoeuvre sans renâcler quitte à multiplier les amabilités pour le plus grand plaisir du lecteur enthousiasmé. En guise de péroraison, laissons le mot de la fin à un spécialiste : en 1970, François Caradec écrivait « Croyez-moi, on ne fera jamais rien de sérieux avec le rire. » L’Homme peut-être, mais le diable d’Henri-Frédéric Blanc a parfaitement compris les bénéfices qu’il pouvait en tirer. Nous plaidons dès maintenant pour que soit décerné le prochain Grand Prix Xavier-Forneret de l’humour noir à son jubilatoire Discours de réception du diable à l’Académie française.
Discours de réception du
diable à l’Académie française
Henri-Frédéric Blanc
Éditions du Rocher
136 pages, 12 € (78,71 FF)
Domaine français Satan chez les gâteux
mars 2002 | Le Matricule des Anges n°38
| par
Éric Dussert
Un livre
Satan chez les gâteux
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°38
, mars 2002.