Un vieil universitaire dont les proches sont presque tous morts est invité par la bibliothèque d’État à découvrir le volumineux journal de Benjamin Bruder, auteur sulfureux qu’il connut jadis. Alexandre Broch va passer l’hiver entre une cellule de la grande bibliothèque et la chambre d’un hôtel.
Le douzième roman de Jean Joubert est fait de pénombre et d’obscurité, de rêves étranges et d’une réalité inquiétante. Il oppose deux conceptions de la littérature et donc de la vie. D’un côté, celle de Benjamin Bruder, jeune poète en révolte, écorché vif et sectateur de la folie. Benjamin Bruder bâtit son oeuvre comme on charge une arme. Il se donnera la mort après avoir laissé comme consigne de n’ouvrir son journal que vingt ans plus tard et précisant que ce serait à Broch de le faire. De l’autre côté, celle de Broch qui aime l’ordre et que la poésie de Bruder effraie autant qu’elle l’attire. Broch qui vise, lui, à ne pas déranger. Notamment les deux gardiennes de sa cellule, bibliothécaires de feu (l’une est rousse) et d’acier (l’autre, brune, semble coiffée d’un casque).
Un peu avant la nuit se déroule essentiellement dans la bibliothèque. Lieu mystérieux où l’enfer semble plus spacieux que le reste du bâtiment, la bibliothèque est aussi la maison des morts, ces auteurs disparus à la compagnie desquels l’universitaire s’attache. C’est donc bien de la mort qu’il est ici question, et Jean Joubert en explore les abords avec délicatesse mais non sans frayeur. Car on est au seuil, ici, de la seule question qu’on voudrait ne pas avoir à se poser le moment venu : celle qui clôt le bilan de sa propre existence.
Prix Renaudot en 1975 pour L’Homme de sable (que Babel propose aujourd’hui en poche -253 pages, 45 FF), Jean Joubert a écrit Un peu avant la nuit depuis la lisière du silence. Loin de son écriture poétique dont Arche de la parole (Le Cherche Midi, 105 pages, 78 FF) chante son credo en un lyrisme anachronique.
UN PEU AVANT LA NUIT
JEAN JOUBERT
Actes Sud
234 pages, 119 FF (18,14 o)
Domaine français Au seuil des ténèbres
août 2001 | Le Matricule des Anges n°35
| par
Thierry Guichard
Un livre
Au seuil des ténèbres
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°35
, août 2001.