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Domaine étranger Le miroir allemand

mai 1999 | Le Matricule des Anges n°26 | par Anne Riera

Déjouant la censure est-allemande, le roman de Christoph Hein dresse l’état des lieux d’une mémoire douloureuse, déformée par les déchirements des consciences. Chronique de la bassesse ordinaire.

L’histoire d’un livre se résume parfois à une simple affaire de boutons. Un imprimeur est-allemand reçoit au début des années 80 un roman, déjà imprimé, mais sans couverture. Les autorités de RDA l’ont plusieurs fois censuré avant de l’interdire définitivement. Comme par inadvertance, l’imprimeur presse alors deux boutons et le texte est encarté sous la trompeuse couverture d’un roman populaire. Diffusé en librairie, le livre reste pourtant interdit et deux années de négociations entre la maison d’édition et les bureaux de la censure n’y changent rien. A bout d’arguments, l’éditeur appelle de nouveau son imprimeur, lui fait croire qu’il a enfin reçu l’autorisation de publier, et le livre paraît, signé : Christoph Hein.
Ce livre, La Fin de Horn, est le seul roman à avoir été publié en RDA contre la volonté des autorités. Christoph Hein se dit pourtant « sans colère et sans passion ». C’est un homme qui dit non, simplement, résiste sans donner de leçon. Loin des prises de positions politiques éclatantes, il dit les déchirements des consciences. Ses personnages sont des gens ordinaires, il les poste devant l’Histoire, interroge leur mémoire.
Horn est le nouveau conservateur du musée de Guldenberg. Muté dans cette petite ville thermale à la suite d’une sanction disciplinaire, c’est un homme blessé, isolé, pestiféré qu’inlassablement pourtant, la machine à broyer les individus traque encore au fond de son exil. Un matin, des enfants découvrent son corps, pendu dans la forêt. Pour dire son désespoir, sa solitude, sa défaite, Hein convoque cinq personnages qui se souviennent et donnent leur version des faits : sa logeuse, le maire de Guldenberg, le Docteur Spodeck, Marlène, une simple d’esprit et Thomas, qui n’était alors qu’un enfant. Leurs voix s’enchevêtrent, comme autant de témoignages enregistrés sur le magnétophone d’un enquêteur anonyme.
« Il m’arrivait parfois de l’épier : je voulais l’entendre, entendre une présence, le pas d’un homme, un grincement du vieux fauteuil en cuir, un gargouillement dans la salle de bain. Je l’épiais pour éprouver la sensation d’avoir un homme dans ma maison. (…) Mais au bout d’une semaine, j’avais compris que je ne pouvais attendre de lui plus de chaleur que d’un sac de bois planté au beau milieu de la pièce. » Pour sa logeuse, une femme abandonnée, Horn est resté un étranger, un être emmuré dont elle n’a pas saisi le drame. Le maire a bien connu Horn avant son arrivée à Guldenberg, puisqu’il a au sein du parti activement collaboré à son bannissement. Du fond de sa retraite, ce personnage pétri d’une bonne conscience incorruptible se souvient d’un homme « installé dans l’apitoiement sur soi », « voué à la mort comme un bœuf à l’abattoir », figé dans la posture de l’innocence bafouée. Une proie facile pour les habitants de Guldenberg qui étaient « comme des chats qui, avec une cruauté inattendue, dépècent un petit oiseau, alors que l’instant d’avant ils ronronnaient encore avec innocence ».
Peu à peu, le rythme des récits change, les témoignages qui s’enchâssaient rapidement s’installent dans la durée quand viennent les aveux, les confessions. Derrière les souvenirs anodins transparaissent les blessures profondes, et avec elles, remontent à la surface quelques-uns des plus tragiques épisodes de l’histoire locale. C’est le Docteur Spodeck qui comptabilise, inventorie toutes les vilenies, humiliations, lâchetés dont se sont rendus coupables ses concitoyens ; il les classe en cas pathologiques qu’il serre, soigneusement, dans des chemises de couleur. Sa mémoire joue à saute-mouton avec le temps, et révèle, d’une dictature à l’autre, du nazisme au communisme, une ville toujours prête à s’ouvrir « avec grâce et bonne volonté, au crime quotidien« . »Les dénonciateurs et les assassins sont sortis en rampant de nos logements, de sous notre peau. » Leur première victime fut Marlène. Elle est la mauvaise conscience de la cité. Ses longs monologues s’adressent à sa mère qui s’est sacrifiée quand sur dénonciation, les nazis sont venus chercher l’enfant handicapée. Elle erre dans la campagne, indifférente au destin de Horn dont elle est une autre facette.
Thomas, dernière pièce de cet accablant puzzle, est comme un morceau d’éponge qui aurait absorbé sans le savoir tous les tenants d’un drame, et qu’il faudrait aujourd’hui presser avec infiniment de précautions pour en exprimer le témoignage. « Mon seul souhait était de me détacher complètement de cette ville et des onze premières et terribles années de ma vie. Je voulais les oublier, les effacer radicalement comme si elles n’avaient jamais existé. » Il lutte contre des années de refoulement parce que les morts ne lui laissent pas de repos, exigeant que l’histoire soit racontée, parce qu’il n’existe pas qu’une « vérité des vivants », il existe aussi une « vérité des morts ».
Hein dévide inlassablement l’écheveau des mémoires individuelles, avec leurs omissions et leurs déformations, pour tisser le portrait contrasté d’une autre Allemagne. Chroniqueur lucide de la bassesse ordinaire, il observe, note, rapporte les gestes avortés, les regards qui trompent et les silences qui tuent, parfois, aussi sûrement que des armes. Sa langue roide, limpide et précise, n’accuse personne, elle rend compte.
Mais plus qu’un miroir -éclaté- tendu à l’Allemagne, La Fin de Horn est un état des lieux de sa mémoire. L’écrivain revendique une lecture subjective du passé et participe ainsi, à partir de la fin des années 70, au difficile travail de réappropriation de l’histoire par les Allemands de l’Est. Avec Volker Braun, et derrière Christa Wolf qui voulait « briser les murs intérieurs », Hein s’engage pour une littérature du « je » contre l’histoire officielle et les mentalités collectives. « L’histoire n’est pas autre chose qu’une pâte fabriquée à partir de faits transmis et conservés arbitrairement ou intentionnellement, avec laquelle les générations suivantes pétrissent une image d’après leurs propres images. Les falsifications et nos erreurs sont le mastic de ces images, elles leur confèrent et résistance et maniabilité. Ce sont elles qui rendent notre bon sens si convaincant. »

La Fin de Horn
Christoph Hein

Traduit de l’allemand
par François Mathieu
Métailié
247 pages, 62 FF

Le miroir allemand Par Anne Riera
Le Matricule des Anges n°26 , mai 1999.
LMDA PDF n°26
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