Les Poètes (Vestiaire) et L’Assiette ne semble rien partager de commun. Le premier est une chronique burlesque et exhaustive des coulisses des lectures publiques de poésie, le second un livre de quarante poèmes où il est question d’entretiens privés, de fonds d’assiettes dans lesquelles se mirer. Pourtant, à y regarder de plus près, si l’un peut servir de manuel savant et de guide du jeune poète à la recherche de prestations en tout genre, et l’autre s’amuse à jeter l’eau du bain avec l’eau de la vaisselle, en provoquant des situations incongrues au beau milieu de situations sans relief, on ira de l’un à l’autre en reconnaissant les mêmes marques d’humour décalé, les mêmes inventions, du prête-noms aux jeux de mots, et une même attention aux ambiances de huis-clos. Les Poètes (Vestiaire) décrit le sérail de l’organisation d’une lecture de poésie, depuis l’invitation du poète à son transport, pour revenir à l’événement de la lecture elle-même ; L’Assiette est un panorama enchantée et scabreux de tout ce qui peut se passer dans la sphère privée d’un repas, d’une discussion, d’une partouze. Assiettes creuses ou plates, à bords évasés, à liserés or, rondes ou ovales, miroir de l’âme, surface à partir de laquelle s’échapper et fuir les bavardages, on est face à son assiette pour retrouver la sienne propre : autour de nous le monde est si bruyant que Komsisoudin, personnage fictif de ces pages, se demande comment il va pouvoir échapper au « HI HAN ! HI HAN » de « la fameuse rousse ». L’Assiette a également cela de commun avec Les Poètes (Vestiaire) : le sujet cherche à s’épuiser par de joyeux pieds de nez, grotesques ou ironiques. Ainsi, s’il est recommandé aux poètes de ne pas oublier leur babouche ou leur calumet, histoire de ne pas arriver sans un remarquable apparat, autour d’une assiette on ne sait plus à quelles scènes se vouer : « Qui sait (en effet)comment s’arrête la main/comment elle demeure suspendue », ou encore si « C’est l’assiette qui tourne la bobine/Allonge gélatine et prises de vues/(si) c’est elle qui fabrique la bobine/ses archives l’obscurité de sa boite ».
Jean-Jacques Viton a écrit, avec ces deux livres, les mots d’un cirque dans lequel on n’aura pas de mal à se retrouver. Vers ou prose, les saynètes qui défilent, étonnament déplacées, se reconnaissent d’elles-mêmes et n’excluent pas le lecteur. Essayiste à nez rouge et poète persifleur de vers blagueurs, Viton Komsisoudin la poésie était devenue saoule.
Emmanuel Laugier
Jean-Jacques Viton
L’Assiette
P.O.L, 111 pages, 140 FF
Les Poètes (Vestiaire)
Édition Fourbis, 136 pages, 98 FF
Poésie Deux huis clos
juillet 1997 | Le Matricule des Anges n°20
| par
Emmanuel Laugier
Des livres
Deux huis clos
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°20
, juillet 1997.