Les romans de Juan Marsé sont comme des fruits trop mûrs : pleins d’une odeur entêtante, si juteux que leur chair éclabousse le gourmand, ils renvoient à une successions d’impressions auxquelles se mêlent les souvenirs d’une enfance où rêver était possible. Les Nuits de Shangai n’échappe pas à la règle. Ce roman en est même l’axiome. On retrouve ici Barcelone à travers le regard d’un jeune adolescent que son talent de dessinateur introduira dans la maison de Susana, une jeune malade dont la beauté et la fragilité accueillent tous les rêves romantiques du narrateur : « je crus voir une tache rose qui tournait comme une toupie derrière les vitres, près du lit, et c’était la petite phtisique qui dansait en enlaçant son oreiller. » Dans ce quartier d’une Barcelone sous le joug du franquisme, les derniers résistants au régime qui ne se sont pas enfuis sont devenus fous comme le capitaine Blay « habillé en piéton renversé par un tram » et qui, lorsqu’il ne pisse pas « une urine grasse et tressée, sombre et silencieuse » sur les égouts de la ville, se bats contre la pollution atmosphériqe. Combat métaphorique et vain. Susana, la belle tuberculeuse enfermée dans sa chambre, s’évade en pensant à son père, Kim, résistant passé en France et dont elle attend chaque jour qu’il vienne la chercher et la sauver de sa maladie. Espoir métaphorique et vain. Arrive un ami de Kim, Forcat, qui s’installe dans la maison de Susana, auprès de sa mère. Chaque jour, en compagnie du narrateur, Forcat viendra tisser la légende de Kim, auquel il confère un destin de héros et un courage de seigneur. Les adolescents vont vivre au rythme des aventures de Kim, parti à Shangai auprès d’une véritable princesse afin d’honorer une amitié de résistant. Et nous, lecteurs hypnotisés par le talent de conteur de Marsé, nous embarquons avec eux. Susana ne sort pas de sa chambre et n’en éprouve guère le besoin, puisque c’est tout Shangai qui vient à elle. Bien sûr, la réalité quant à la vie de Kim sera toute autre. Amer et ironique, J
Les Nuits de Shangai
Juan Marsé
Traduit de l’espagnol par
Jean-Marie Saint-Lu
Christian Bourgois éditeur
264 pages, 120 FF
Domaine étranger Shangaï en Catalogne
juin 1995 | Le Matricule des Anges n°12
| par
Thierry Guichard
Un livre
Shangaï en Catalogne
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°12
, juin 1995.